[JM B] Informatique et société N° 18 - 10 octobre 2009


Sommaire du numéro 18 iets

  1. Etre ou ne pas être vidéo protégé
  2. Les réseaux de communication, une affaire trop sérieuse pour être abandonnée au secteur privé
  3. Mémoire et culture
  4. Alerte
  5. Liens, citations et réactions de vous tous
  6. Accueil



1 Etre ou ne pas être vidéo protégé ?

Rapprochons quelques informations.

Dans le numéro du 8 octobre du journal Le Monde nous apprenons que Stratford upon Avon (ville de naissance de Shakespeare) sera prochainement l'heureuse pionnière d'un système mis en place par une société privée : tous les habitants de la ville pourront accéder aux images de certaines caméras de vidéo surveillance installées dans des magasins et peut-être dans des lieux publics, et pourront signaler les comportements suspects et les crimes et délits. L'habitant qui chaque mois aura signalé le plus d'évènements recevra 1000 euros. Cette information est passée un peu inaperçue. C'est pourtant un tournant terrifiant. Avec les caméras de vidéo surveillance, on pouvait au moins avoir l'espoir que les images étaient vues par des agents autorisés par la puissance publique, et que l'on ne ferait pas n'importe quoi des images. Ou même l'espoir qu'elles ne seraient pas vues du tout faute de personnel pour les regarder. Voici maintenant que tous les faits et gestes de tout un chacun seront surveillés par tous. De beaux jours pour les corbeaux qui s'ennuient. Plus distrayant que Derrick à la télé…

Complément :

http://www.leparisien.fr/international/en-angleterre-la-videosurveillance-peut-rapporter-gros-07-10-2009-665793.php

Dans le numéros 17 de "[JM B] Informatique et société" et dans les numéros 39, 40 et 41 de "[alerte]" je me préoccupais d'une loi éventuelle qui, prenant pour prétexte la burqa, obligerait tout un chacun à devoir être reconnu à tout moment dans l'espace public et j'en redoutais les conséquences.

http://iets.entre-soi.info/

http://alerte.entre-soi.info/

Je suis parfois très mécontent de voir mes pressentiments se réaliser. Ce que je craignais, un député UMP l'a fait en déposant un projet de loi qui vise à interdire l'ensemble des vêtements ou accessoires permettant de masquer l'identité d'une personne. Ce projet comporte deux articles :

Article 1 : « Toute personne allant et venant dans l'espace public doit avoir le visage découvert et porter des vêtements ou accessoires permettant aisément sa reconnaissance ou son identification. »

Le second article prévoit, en cas de violation de ce « principe », deux mois de prison et 15 000 euros d'amende.

Finis les perruques, lunettes de soleil, fausses barbes, voilettes pour les femmes du monde, passe-montagne, bandages, chapeau à larges bords de Jean Moulin. Notons tout de même le laxisme de M. Vanneste, qui autorise les espions et membres du GIGN à rester masqués.

Le député donne pour première motivation à son projet le fait de rendre leur efficacité aux systèmes de vidéo surveillance. Le port de la burqa ne vient qu'en deuxième motivation.

Sources :

http://www.rue89.com/2009/10/04/vanneste-leve-le-voile-lelu-veut-interdire-les-déguisements

http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1942.asp

Alors, rassemblons tout cela pour former un scénario terrifiant, mais possible, (probable ?) :

- En France, le gouvernement souhaite développer massivement la vidéo surveillance (rebaptisée vidéo protection). Sont même à l'étude des textes permettant de contraindre les maires récalcitrants à installer des caméras ;

- En France encore, une loi obligera donc, peut-être, tout un chacun à être reconnu dans l'espace public ;

- En France, la création de fichiers centralisés conservant les données relatives au visage de chacun est en cours : passeport numérisé, carte d'identité avec photo numérisée. Dans quelques temps (pas encore vraiment maintenant) les logiciels permettront de comparer les images des caméras aux images stockées dans ces fichiers ;

- En France, dans le département de l'Essonne, on peut signaler à la police nationale, par courrier électronique, les faits que l'on estime suspects en envoyant des photos, vidéos, messages ;

- Pour l'instant en France on n'a pas imaginé que les images des caméras soient disponibles pour chacun comme à Stratford. Mais pour combien de temps ?




- Conclusion : si tout cela se met en place nul ne pourra sortir dans la rue dans être repéré, identifié, et observé par l'ordinateur central de Big Brother et de plus espionné par tous.

Jusqu'à maintenant, il n'est pas prévu de vidéo surveillance dans les domiciles. Dans 1984 de Orwell il y en a chez chacun. Nous prenons du retard.

Quoique… on pense à quelque chose de terrible, et quelqu'un y a déjà pensé : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article3428

Rectificatif au 28 10 2008

- le député Vanneste a déposé un projet de loi, et non pas une proposition de loi ;

- d'après des spécialistes en informatique, on est encore loin du jour où des images de video surveillance pourront être comparées au images contenues dans un très gros fichier comme celui du passeport ou de la carte d'identité. La possibilité de comparaisons d'images de vidéo surveillance avec un fichier spécifique (criminels ayant commis tel crime, terroristes) n'est en revanche pas irréaliste.






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2 Les réseaux de communication, une affaire trop sérieuse pour être abandonnée au secteur privé

Churchill, je crois (ou de Gaulle, ou Clémenceau ?) aurait dit que la guerre est chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires. Il me semble que la question des réseaux de communication est chose trop sérieuse pour en laisser le pilotage de fait au secteur privé. Il faut me semble-t-il réfléchir à une conception d'un service public des réseaux de communication, impliquant une législation et une réglementation plus contraignantes, et redonnant le pilotage réel à l'état et aux régions.

Un article du journal Le Monde le 8 octobre, intitulé "Le débit du web est tari en Lozère", signé Cécile Ducourtieux, analyse les risques sociaux, économiques que fait courir à une zone géographique l'absence d'accès au haut débit ou au très haut débit.

Pour les particuliers, difficultés de communication avec les amis, les enfants et petits-enfants proches ou lointains, impossibilité d'accès à la toile en tant que source d'information et de culture, impossibilité de procéder à des achats en ligne, de remplir certaines formalités administratives ou de pratiquer le télétravail. Pour les institutions et les entreprises, impossibilité de mettre en place certaines formes de travail (téléconférence, formation à distance) ou d'échanger des documents de grand volume. Ces manques sont rédhibitoires pour certaines sociétés, qui partent s'installer ailleurs.

Face à de tels enjeux nationaux en termes sociaux et en termes d'aménagement du territoire le scénario est hélas répétitif : l'État ou les collectivités confient des délégations de service public à des opérateurs privés. Les termes de ces délégations sont nettement balancés en faveur de l'opérateur privé, et, qui plus est, les moyens qu'ont l'état ou les collectivités de faire respecter les termes des contrats sont faibles.

Pour le téléphone mobile, trois opérateurs se partagent le marché. Les prix sont parmi les plus élevés d'Europe et les opérateurs ont déjà fait l'objet de plusieurs mises en garde ou sanctions de la commission européenne pour manque de concurrence réelle. Les opérateurs ont équipé les zones à forte densité de population, et font grâce à cela des profits absolument remarquables. Pas question pour eux d'investir une partie de ces profits dans la couverture des zones peu peuplées : les injonctions qui leur sont faites sont appliquées en traînant les pieds, l'État et les collectivités locales doivent mettre la main à la poche.

Pour le câblage, de nombreuses communes ont donné délégation à des opérateurs privés. Ainsi en Île de France, le Sipperec, syndicat intercommunal qui regroupe la plupart des communes de la couronne parisienne, a donné délégation à Noos. Les engagements sur le rythme des équipements, sur la commercialisation réelle des services ne sont pas tenus. Les actions du Sipperec auprès de l'opérateur sont nombreuses, mais en grande partie vaines : la société est constamment vendue et rachetée, il n'y a guère de prise réelle sur cet opérateur, qui, de plus, a le quasi monopole du marché.

La situation de la fibre optique semble tout à fait analogue : la concurrence des opérateurs est vive sur les zones à forte densité de population. L'essentiel semble pour l'instant d'empêcher les concurrents de travailler, plus que le souci de "fibrer" les citoyens. Et, là encore, il apparaît que les zones peu peuplées ne font pas partie du plan de développement de ces opérateurs.

Les libéraux disent : ce n'est pas le métier de l'état que de faire cela. On a dit la même chose au moment où l'on a fait cadeau au privé d'autoroutes très rentables et qui rapportaient à l'état.

Il est urgent me semble-t-il de réfléchir à ce que pourrait être un service public des réseaux de communication.

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3 Mémoire et culture

Extrait d'un entretien avec Umberto Eco, paru dans Télérama, numéro du 10 au 16 octobre 2009. Extrait long, car je suis tout particulièrement en accord avec ce que dit l'auteur et avec la conception de la culture qu'il exprime.

"Notre rapport à la mémoire fait penser à Funès, le personnage hypermnésique imaginé par Borgès. (Cf. recueil de nouvelles Fictions, JL Borgès) Comme il se souvent d'absolument tout, c'est un fou ou un idiot. Et Internet est le scandale d'une mémoire sans filtrage, où l'on ne distingue plus l'erreur de la vérité. Au final, cela produit aussi un effacement de la mémoire. La culture est une chose qui se partage, se discute. Ce qu'on peut appeler "la communauté" arrive jusqu'ici à débattre, à négocier, à se mettre d'accord pour laisser tomber certaines œuvres, certaines idées scientifiques au profit d'autres. Une des grandes fonctions de la culture est d'imposer un savoir partagé par tous. Cela ne veut pas dire immuabilité de ces connaissances. Mais même leur nécessaire mise en question, même la révolution ne peuvent avoir lieu sans qu'existe cette base du savoir partagé : pour que Copernic puisse dire que la Terre n'est pas au centre de l'Univers, il faut qu'on ait accepté auparavant la théorie de Ptolémée qui disait le contraire.

Il existe une sorte de Larousse encyclopédique admis par tout le monde, même si celui d'un homme de 70 ans est plus fourni que celui d'un jeune de 25 ans. Internet peut signifier la mise en miettes de ce Larousse commun, au profit de six milliards d'encyclopédies, chaque individu construisant la sienne, chacun pouvant à loisir préférer Ptolémée à Copernic et le récit de la Genèse à l'évolution des espèces. Nous courons le risque d'une incommunicabilité complète, l'impossibilité d'un savoir universel. Évidemment les contrôles traditionnels continueront de s'exercer, notamment par l'école, mais ils rentreront de plus en plus en conflit avec les revendications particulières. Revendiquer sa propre encyclopédie est typique de la bêtise. La culture est là justement pour empêcher les Bouvard et Pécuchet de triompher".

Fin de l'extrait de l'entretien avec Umberto Eco.

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4 Alerte

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5 Liens, citations et réactions de vous tous

Signalé par la Ligue des Droits de l'Homme : Cristina

Le gouvernement a toujours dans ses cartons le fichier Cristina, qui contiendra de très nombreux renseignements nominatifs, mais sera entièrement couvert par le secret défense. A tel point que nul, pour l'instant, ne sait ce que pourra contenir ce fichier. De nombreuses associations ont déposé un recours au Conseil d'État. La première décision du Conseil à ce sujet est une nette victoire : le Conseil d'État, considérant qu'il ne peut statuer sur quelque chose qu'il ignore, demande au gouvernement de lui communiquer le projet Cristina, afin de savoir sur quelles données portera ce fichier.

Signalé par l'association IRIS :

Standards mondiaux de respect de la vie privée : la société civile internationale ouvre le débat.

http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-madridconf0909.html

Le blog de JC Vitran

http://resistancesetchangements.blogspot.com/

Vinz et Lou

Une série de dessins animés pour former les enfants aux usages et aux risques de l'Internet.

http://www.internetsanscrainte.fr/le-coin-des-juniors/dessin-anime-du-mois

Vos réactions et critiques sur cette série seront les bienvenues.

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6 Accueil


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