[JM B] Informatique et société N° 21 - 15 février 2010

Sommaire du numéro 21 Iets

  1. Brouillard
  2. Lueurs dans le brouillard
  3. Liens, citations et réactions de vous tous
  4. Accueil



1Brouillard

Près de trois mois sans parution de ce billet, où reprendre le fil provisoirement interrompu ? Relire les courriers et communiqués de la Ligue des droits de l'homme, des associations Creis et Iris, les dernières communications en ligne sur le site de la CNIL, relire vos messages, flâner sur Google, reprendre les coupures de presse.

Une impression de brouillard, derrière lequel tout peut arriver. Le vote de lois sécuritaires, la multiplication de fichiers nominatifs se poursuivent. Nous sommes définitivement dans l'ère de la méfiance et du soupçon vis-à-vis des citoyens, dans l'ère du fichage généralisé et préventif (car tout un chacun peut devenir délinquant), dans l'ère de l'exploitation et du croisement de fichiers pour constituer des profils des personnes (profil de consommateur, mais aussi profil supposé de futur délinquant, ou profil d'opinions).

Le rythme des lois, décrets, arrêtés est tel que l'on ne sait plus si tel texte annoncé est discuté au parlement, s'il a été amendé, durci, refusé, adopté. Le brouillard.


La loi sur la "simplification et l'amélioration de la qualité du droit "

Une proposition de loi tout à fait consensuelle avait été élaborée par les députés Benisti (UMP) et Batho (PS), et approuvée par la commission compétente de l'assemblée. Cette proposition prévoyait entre autres que la création par l'État de certains fichiers nominatifs serait débattue au parlement. Hélas, avant le vote, le gouvernement décide par simple décret la création des fichiers Edvige 2. Le projet Benisti Batho est aussitôt retiré du circuit. La loi sur la "simplification et l'amélioration de la qualité du droit" (!) enlève toute référence au débat parlementaire mais prévoit au contraire que les ministres pourront (sauf exception) créer par simple arrêté des "fichiers de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État et qui intéressent la sûreté de l’État ou la défense, et, sous certaines conditions, des fichiers de données à caractère personnel concernant la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l’exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté." Dans certain cas, l'arrêté pourra même ne pas être publié. Des fichiers secrets, créés par des arrêtés secrets... Rassurons-nous : le décret qui autorisera la non‑publication de l'arrêté sera, lui, publié ! Kafka ? Ubu?

De plus, le procureur de la république pourra prescrire le maintien dans un fichier d'une personne acquittée ou relaxée; à la seule condition d'en avertir l'intéressé. On croit rêver. Acquitté et fiché…

Cette proposition de loi a été adoptée par l'assemblée nationale, sauf erreur de ma part elle poursuit son destin au Sénat.

retour au sommaire


Les fichiers edvige

La création du premier fichier edvige, qui collectait sur un très grand nombre de personnes des données très personnelles avait suscité une forte mobilisation de l'opinion publique, concrétisée par près de 300 000 signatures de la pétition "Non à edvige". Recul apparent du gouvernement, retrait du texte. Puis, surprenant tout le monde, deux décrets sont publiés le 16 octobre 2009, jour de la sainte Edwige. Les nouveaux décrets maintiennent des points très controversés du premier texte (fichage des mineurs à partir de 13 ans entre autres). On pourrait penser que puisqu'il y a eu mobilisation de l'opinion publique, les nouveaux décrets prennent en compte des progrès pour les libertés. Il n'en est rien, ils ajoutent au contraire des dispositions redoutables.

Ainsi, pour l'accès à certains emplois, "l'origine géographique" sera collectée. (Imprécision de la notion d'origine géographique, fichage ethnique ?) Ainsi pourront être fichés des "signes particuliers objectifs concernant le physique." On ne pourra pas écrire "bougnoule", ce n'est pas objectif. On pourra sans doute écrire "noir, basané, albinos, nez crochu". C'est objectif. On pourra même dans certains cas simples se limiter à "bronzé".

Une autre disposition, en totale contradiction avec l'esprit de la loi de 1978, prévoit que pourront être fichés, dans le cadre de l'enquête permettant l'accès à certains emplois, les "activités" politiques, philosophiques ou religieuses. On n'a pas le droit de ficher ce type d'opinions, mais voila maintenant que l'on peut ficher les activités ! On ne pourra pas écrire "musulman", mais on pourra écrire "fait sa prière cinq fois par jour sur son lieu de travail, en utilisant un tapis". On n'écrira pas "communiste" mais "vend l'huma sur le marché le dimanche". Cela changera un peu des fichiers de Vichy, où l'on fichait surtout les juifs ("va à la synagogue") et les francs-maçons ("souvent vu entrant à telle adresse bien connue.").

Tout cela n'a créé que peu de remous. Diverses associations, parmi lesquelles la ligue des droits de l'homme et la ligue de l'enseignement ont lancé une nouvelle pétition. Elle n'a pour l'instant recueilli que 13 000 signatures, contre 300 000 pour la précédente. Un recours au conseil d'État a été déposé.

retour au sommaire


La loi loppsi 2, loi pour la programmation et la performance de la sécurité intérieure

Cette loi est comme le chiffon rouge du matador. La droite la ressort et la brandit chaque fois que la situation politique nécessite un peu d'agitation sécuritaire. C'est le cas à l'approche des régionales. Après de nombreuses mises en sommeil, cette loi sera adoptée par l'assemblée nationale le 16 février 2010. Reste le Sénat.

Confuse, partant dans tous les sens (peut-être volontairement ?) cette loi fourre‑tout protège l'identité des agents secrets, assure une meilleure sécurité autour des stades de foot, organise l'inhumation dans les terres arctiques, que sais-je encore. Seule une analyse fine par des juristes permettra d'en découvrir toutes les conséquences.

Les surprises des débats parlementaires sont telles que nous y reviendrons lors de l'adoption par le Sénat.

Dans l'état provisoire de nos informations au 15 février 2010 :

- la vidéosurveillance est supprimée, et remplacée par la vidéo protection. Dans certains cas, les maires réticents à installer des caméras pourront se le voir imposer par le préfet ;

- dans un nombre très étendu de cas, incluant l'aide au séjour irrégulier des étrangers, la police pourra installer physiquement sur les ordinateurs des dispositifs d'espionnage. Cela se fera sous le contrôle du juge d'instruction, qui, lui, doit être supprimé ;

- le ministre de l'intérieur pourra, par arrêté non publié, interdire l'accès à un certain nombre de sites estimés "pédopornographiques". Dans certains régimes non démocratiques, une mesure permettant d'interdire des sites par une décision secrète nous poserait problème. Dans les dernières étapes des débats à l'assemblée nationale, il était envisagé que cette mesure puisse être contrôlée par un juge d'instruction (qui doit être supprimé).

A suivre, lors du vote du 16 février 2010, puis dans les futurs débats au Sénat et dans les navettes parlementaires.

Je voulais reprendre ici de larges extraits de l'entretien avec JP Dubois, président de la ligue des droits de l'homme, paru dans "Le Monde" daté du 10 février. Et puis voila, devant "l'abondance de l'actualité" ce billet est déjà bien long… Reportez-vous au site Lemonde.fr. Vraiment, faites-le.

http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/02/09/jean-pierre-dubois-il-faut-generaliser-le-droit-d-acces-et-de-rectification-aux-fichiers-et-creer-un-habeas-corpus-numerique_1303205_3224.html

retour au sommaire



2 Lueurs dans le brouillard

Dans ce brouillard, quelques lueurs laissent quelque espoir aux défenseurs des libertés.

Le conseil constitutionnel a "retoqué" la première version de la loi Hadopi (destinée en principe à lutter contre le piratage des fichiers musicaux). Il a estimé que l'on ne pouvait confier à une instance administrative des sanctions relevant du judiciaire.

Le conseil d'État a refusé plusieurs des caractéristiques du fichier Eloi, concernant l'éloignement des étrangers.

Et puis un rapport parlementaire et une décision du parlement européen nous réchauffent le cœur.

Rapport sénatorial : "La vie privée à l'heure des mémoires numériques. Pour une confiance renforcée entre citoyens et société."

C'est le titre d'un important rapport élaboré par les sénateurs Detraigne et Escoffier.

http://www.senat.fr/noticerap/2008/r08-441-notice.html

Ce rapport aborde de façon pertinente tout un ensemble de points concernant les usages des TIC. Je vous l'avais déjà signalé en son temps.

Ces deux sénateurs récidivent de façon tout aussi pertinente en déposant un projet de loi, dense et cohérent.

Nul ne sait évidemment ce que deviendra ce projet, sera-t-il débattu, sera-t-il vidé de son contenu par les amendements ?

Quoiqu'il en soit, comme on dit dans le guide Michelin, cela vaut le détour, et les idées qui y sont contenues peuvent alimenter de nombreux débats fructueux entre nous.

http://www.senat.fr/leg/ppl09-093.html

retour au sommaire


Rejet par le parlement européen de la communication des données "Swift" aux USA

Extraits d'un communiqué du 10 février 2010 de l'association IRIS, imaginons un réseau Internet solidaire :

"Par son rejet massif (378 pour la résolution de rejet, 196 contre et 31 abstentions) de l'accord SWIFT ce jour en séance plénière à Strasbourg, le Parlement européen fait d'une pierre trois coups. D'abord, sa décision protège la vie privée et les données personnelles des citoyens européens. Ensuite, il affirme ses pouvoirs renforcés par rapport à la Commission et au Conseil. Enfin il adresse aux États-Unis un signal fort pour signifier que la sécurité et la lutte contre le terrorisme ne sont plus des prétextes aussi faciles qu'auparavant pour porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens.

SWIFT est l'organisme par lequel passe l'ensemble des informations permettant les transactions financières internationales standardisées entre établissements bancaires, chaque établissement étant identifié car son code SWIFT ou BIC. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis avaient négocié un accord avec l'Union européenne afin d'officialiser leur accès aux données bancaires des citoyens européens effectuant des paiements internationaux. Cet accord intérimaire, dit SWIFT/TFTP (« Terrorist Finance Tracking Program », en français : programme de traque du financement du terrorisme) avait été entériné par la Commission et le Conseil européen la veille de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne conférant un pouvoir de co-décision au Parlement. Toutefois, l'accord devait être confirmé par le Parlement européen pour devenir légalement contraignant.

Le Parlement européen a donc largement suivi la recommandation de sa commission des libertés civiles (LIBE) en rejetant cet accord intérimaire. Les principales raisons de ce rejet résident dans l'absence de garanties suffisantes pour la protection de la vie privée et des données personnelles. Ainsi que l'expliquait l'association européenne EDRI (European Digital Rights, dont IRIS est membre fondateur) dans une note à l'intention des parlementaires européens, l'accord intérimaire ne respectait pas les principes fondamentaux de la protection de la vie privée et de la protection des données dans l'Union Européenne. "

Fin de l'extrait.

On sait à quel point la lutte contre le terrorisme sert de prétexte aux USA pour collecter tout un ensemble de données, pouvant entre autres servir au fichage personnel et à l'espionnage industriel. L'un des points positifs du traité de Lisbonne est qu'il érige la protection des données personnelles au rang de droit fondamental. Ces décisions ne pourront plus désormais être prises dans l'obscurité des décisions de la Commission européenne., souvent encline à s'incliner devant les exigences des USA.

retour au sommaire



3 Liens, citations et réactions de vous tous


"Jeux sérieux"pour alerter sur les dangers du net

Extrait de "Lemonde.fr" le 15 02 2010 : "L'action se déroule en 2025. Fred est un jeune trentenaire sur le point de décrocher un contrat publicitaire important pour une société protectrice des animaux. Mais l'apparition d'une vieille photo préjudiciable de lycée sur le réseau social amidami.net compromet sérieusement la signature du contrat. A l'internaute de l'aider à effacer cette erreur de jeunesse. Dévoilé la semaine dernière,"Fred et le Chat démoniaque" est le 1er épisode de 2025exmachina

http://www.2025exmachina.net/jeu

un serious game destiné à sensibiliser les adolescents aux bons usages d'Internet. Cette initiative pédagogique est une production de l'éditeur Tralalalère, réalisée avec le soutien de la Commission européenne et la participation du CNC, dans le cadre du programme Internet sans crainte. Si ce premier épisode traite du sujet de la gestion de l'image personnelle, les cinq autres, qui paraîtront progressivement d'ici à l'automne"

Je n'ai pas essayé, mais si le plumage ressemble au ramage, c'est fort intéressant : le jeu consistera à remonter dans le passé pour trouver toutes les traces laissées sur Internet, et tenter de les modifier.

retour au sommaire


Signalé par l'une de vous : "Vertus démocratiques de l'Internet" par Dominique Cardon, sur le site "La vie des idées".

Le chapeau de l'article : "Comment caractériser les formes politiques de la révolution Internet ? Dans cet essai, Dominique Cardon met en évidence les tensions qui traversent le réseau des réseaux, notamment l’égalité radicale des internautes, la visibilité extrême des subjectivités, la production de solidarités nouvelles, la construction de la légitimité. Plongée dans la « démocratie Internet."

Dominique Cardon est sociologue au Laboratoire recherche et développement de France Télécom. Ses travaux portent sur les relations entre les usages des nouvelles technologies et les pratiques culturelles et médiatiques.

http://www.laviedesidees.fr/Vertus-democratiques-de-l-Internet.html

retour au sommaire


Le site de JC Vitran, responsable du groupe "Libertés et TIC" de la ligue des droits de l'homme. Un billet sur la vidéosurveillance : "Petite Schizophénie quotidienne".

http://resistancesetchangements.blogspot.com

retour au sommaire


Scanners corporels

Sur le site de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés un article intitulé "Scanners corporels, jusqu'où se dévoiler pour être mieux protégé ?"

http://www.cnil.fr/

retour au sommaire


Les travaux de diktyologie de Paul Mathias,

dans le cadre du collège international de philosophie. Une présentation du livre "Qu'est-ce que l'Internet", de Paul Mathias.

http://diktyologie.homo-numericus.net/

retour au sommaire



4 Accueil


Si vous le souhaitez, vous pouvez recevoir [JM B] Iets sous forme de messages électroniques avec liste de diffusion non publique..
Écrire à jean-michel.berard chez orange.fr remplacer chez par @

Le présent site existe grâce au travail de Chris Boissin.

retour au sommaire


Fin de "[JM B] informatique et société" N° 21