[JM B] Informatique et société - N° 30 - 9 juillet 2011

[JM B] Informatique et société N° 30

9 juillet 2011

rythme de parution aléatoire

Sommaire

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* Quoi de neuf ?

- Neutralité de l'internet

- Cour des comptes

* Le « fichier des gens honnêtes » : méfiance généralisée, contrôle total

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*Quoi de neuf ?

Plus de deux mois depuis la parution de la dernière lettre « Iets ». Et pourtant, que de sujets d'alerte, d'inquiétude, de mobilisation.

La neutralité de l'internet :

Le G8 est le club des pays les plus riches du monde. Il est présidé par N. Sarkozy. A l'initiative de son président, cet organisme a tenu le 24 mai 2011 une réunion (e-G8) consacrée aux problèmes de l'internet.

Étrange réunion. Pourquoi l'internet appartiendrait-il aux pays les plus riches du monde ? Et pourquoi cette conférence ne réunissait-elle que des représentants des milieux économiques, à l'exception de toute association de défense de la liberté d'expression, de représentants des usagers, etc... ?

Sous l'impulsion forte de la France les conclusions de ce e-G8 étaient les suivantes : il faut donner la priorité aux usages commerciaux, et donc reléguer au second plan les usages de création, de communication entre tous, d'échanges d'information. Le rôle que jouent internet et les réseaux dans les mouvements qui, en ce moment, font progresser la liberté dans le monde inquiète nos dirigeants. Ils ont raison, c'est dangereux pour eux. Rendez-vous compte. C'est parti d'un pays lointain et exotique, la Tunisie, mais cela se rapproche dangereusement de nous avec l'Espagne et ses indignados.

Hasard du calendrier, le même jour, la Ligue de l’enseignement réunissait pour la première fois un groupe d’experts d’horizons différents pour réfléchir à la dimension nouvelle de son projet d’éducation populaire dans la société numérique.

Extrait de Marianne2.fr, 20 mai 2011

« Le conseiller diplomatique du président, Jean-David Levitte, bloque tout d’une simple lettre officielle datée du 29 septembre 2010, signée de Nicolas Sarkozy, à Bernard Kouchner. Le président met son veto aux projets Internet de son ministre : « Vous m’avez fait part de votre intention de réunir une conférence internationale consacrée à la liberté d’expression sur Internet. Cette problématique doit être abordée de manière globale. » Suivent deux pages de commentaires critiques et de détricotages. Alors que Kouchner évoquait les « cyberdissidents », Nicolas Sarkozy répond en termes de « cybercriminalité ». Kouchner met en avant la « liberté de la presse », le président craint, lui, les « zones de non-droit », propose de « bâtir un Internet civilisé, respectueux des droits de tous ». Le ministre Kouchner militait pour défendre les « droits de l’homme » et un Internet « ouvert », Sarkozy lui répond que cette conférence doit être « l’occasion de promouvoir les initiatives de régulation, en particulier la loi Hadopi ». Sarkozy choisit un Internet fermé ! »

Fin de citation.

Cour des comptes

La Cour des Comptes est (comme le conseil constitutionnel par exemple) l'un des grands corps de contrôle indépendants qui subsistent en France.

Elle a publié le 7 juillet 2011 un rapport mettant en cause de nombreux aspects de la politique sécuritaire de N. Sarkozy, et jetant un regard sceptique sur la vidéo surveillance.

Réaction d'un ministre et de 40 députés UMP : mise en cause du caractère partisan de la Cour des Comptes. Aucune remarque sur le fond du rapport, mais une critique (au demeurant inadmissible de la part d'un ministre) d'un corps de contrôle institutionnel. Le pouvoir de droit divin ne peut tolérer les corps de contrôle. Bon, sous Louis XVI cela avait conduit à la Révolution... Peut-être, de nos jours, un mouvement d'indignation avec occupation de la place de la Bastille ?

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* Le « fichier des gens honnêtes »

Le nombre de fichiers nationaux divers est en hausse constante. Au moins, pour les fichiers de police, ce développement était censé s'appliquer à des personnes ayant commis un délit, ou (hélas) de façon plus vague, impliquées dans une enquête de police.

Beaucoup, dont moi, ont souvent dénoncé l'idéologie sous-jacente à ce type de fichage : nous entrions progressivement dans une société où il fallait ficher chacun, pour le cas où il deviendrait délinquant.

On le craignait, on l'annonçait, ce sera chose faite. La loi sur la sécurité de l'identité avait déjà été adoptée par le Sénat. Elle a été adoptée le jeudi 7 juillet 2011 par sept (7 !) députés présents. C'est dire si ces questions mobilisent la gauche... Il reste quelques étapes à franchir, et cette loi sera promulguée.

Je pense que, après la promulgation de cette loi, on aura vraiment changé de société, passant d'une société où l'on poursuit les coupables à une société de méfiance où chacun est un coupable potentiel.

Il me semble, sans être trop parano, que les pires craintes concernant la surveillance généralisée, la méfiance institutionnelle se réalisent avec cette carte d'identité biométrique et électronique.

Même dans les feuilletons télé américains comme « Les experts », lorsqu'on trouve quelqu'un dans le fichier c'est qu'il a déjà eu maille à partir avec la justice. En Angleterre, on a renoncé à l'idée d'une carte d'identité nationale jugée attentatoire aux libertés. La France ouvre la voie : tous, tous, tous fichés.

Comment faire mieux que de vous conseiller la lecture des deux articles suivants :

http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2011/07/07/un-fichier-de-45m-de-gens-honnetes/

http://www.numerama.com/magazine/19307-tout-savoir-sur-la-carte-d-identite-biometrique-et-numerique.html

Je suis perplexe : pour le fichier edvige, mobilisation massive de la ligue des droits de l'homme, de la ligue de l'enseignement. Le gouvernement avait du faire mine de reculer. Et là, rien.

Citations de bugbrother :

« Le rapporteur de la proposition de loi a ainsi qualifié de “fichier des gens honnêtes” (sic) cette base de données qui répertoriera les noms, prénoms, sexe, dates et lieux de naissance, adresses, tailles et couleurs des yeux, empreintes digitales et photographies de 45 millions de Français voire, à terme, de l’ensemble de la population.

Ce fichier n’a pas d’équivalent. Toutes les personnes auditionnées ont mis en garde, plus ou moins expressément, contre son usage à d’autres fins que la lutte contre l’usurpation d’identité, ce qui présenterait des risques pour les libertés publiques.

De fait, le Conseil d'État, la CNIL et la Cour européenne des droits de l'homme se sont d'ores et déjà prononcés contre ce type de fichage biométrique généralisé de personnes innocentes de tout crime ou délit, pour la simple et bonne raison qu'il s'agit là d'une violation manifeste de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la convention sur la protection des données du Conseil de l’Europe, et de la loi informatique et libertés.

C'est même précisément ce pour quoi, estime l'opposition, le gouvernement n'a pas rédigé de projet de loi à ce sujet, afin d'éviter d'avoir à saisir le Conseil d'État et la CNIL, et préféré demander à un sénateur de rédiger cette proposition de loi.

Au Sénat, François Pillet avait tenté d'empêcher tout détournement de finalité de la base de donnée, afin d'exclure, notamment, son utilisation en matière de police judiciaire, et faire de sorte qu'il soit techniquement impossible de s'en servir pour identifier un individu à partir de ses empreintes digitales ou de sa photographie :

Nous ne voulons pas laisser derrière nous une bombe : c’est pourquoi nous créons un fichier qui ne peut être modifié.

Mais le gouvernement, tout comme Philippe Goujon, le rapporteur de la proposition de loi à l'Assemblée, s'y sont fermement opposés, arguant du fait qu'il serait dommage de ne pas profiter de l'occasion pour permettre à la police, sur réquisition judiciaire, de se servir de la base de données en matière de recherche criminelle…

Pour Delphine Batho, la députée PS spécialiste des fichiers policiers, "le véritable objectif de ce texte" n'est donc pas la lutte contre l'usurpation d'identité, mais "le fichage biométrique de la totalité de la population à des fins de lutte contre la délinquance" » fin de citation.

Pour faire bonne mesure, le gouvernement a choisi une procédure qui évite d'avoir à demander l'avis de la CNIL !!

Je ne peux être trop long, et citer la suite de l'article sur la puce commerciale qui sera insérée dans la carte d'identité, et sur les politiques des gouvernements anglais et hollandais qui vont à l'opposé de nos pratiques. Vraiment, lisez l’article, c'est passionnant et révoltant.

Lisez aussi l'article de numerama.

Juillet 2011, date à retenir, date d'un changement de société vers la méfiance généralisée et le contrôle total.

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Fin de Iets N° 30, 9 juillet 2011