[JM B] Informatique et société - N° 33 - 22 avril 2012

Sommaire


1 Élections
2 Carte nationale d'identité électronique
3 Passeport
4 Progrès scientifique et technique
5 Les dangers de l'internet vus par les réactionnaires
6 Les dangers de l'internet en général
7 Et si l'on enseignait vraiment le numérique
8 Écouter, voir

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1 Élections

Cela n'a rien à voir avec le thème de cette lettre "Informatique et société", mais j'écris le dimanche 22 avril 2012. On va encore m'accuser de « dévoyer » cette lettre !

Les chaines d'info continues à la télévision, BFM en particulier, ont été remarquées pendant la campagne : la nécessité d'occuper l'antenne les a amenées à traquer la petite phrase, le détail sans cesse répété, conduisant à un risque (évité à mon avis grâce aux autres médias) de nivellement du débat par l'insignifiant.

En ce jour d'élection, le spectacle est permanent : il faut meubler une journée entière, la seule information utile est celle du taux de participation à midi. Et encore, on ne sait pas en faveur de qui cela joue. Le reste du temps il faut meubler, on montre en boucle les candidats qui votent devant des dizaines de caméras, on précise à quelle heure ils ont voté, on sait même combien de bulletins un tel a pris, et quel était le menu de l'autre après le vote. Quelles informations contenues dans tout cela ? Très peu. Deux informations républicaines : les candidats ont voté (quelle surprise) et au bureau de vote ils ont attendu leur tour comme tout le monde. Cela a l'air anodin, mais n'est pas sans importance, car cela conforte l'image du rituel du vote, peut-être bientôt mis à mal par le vote électronique.

On sent bien que les chaines aimeraient nous dire pour qui chaque candidat a voté, mais ce n'est pas permis. Est- on vraiment sur que chacun a voté pour lui-même ?

Une remarque annexe : un tel a voté dans son fief de, un autre dans sa bonne ville de, un autre encore sur ses terres de... La nostalgie du système féodal ne nous a pas quittés, et un homme politique reste toujours un seigneur ou un roi...

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2 Carte nationale d'identité électronique : le « fichier des gens honnêtes »

La lettre informatique et société N° 32 comportait une analyse des aspects liberticides de la mise en place de la carte nationale d'identité électronique, adoptée par le parlement dans une version « dure » mêlant les problèmes d'identification des personnes et d'authentification du document.

Le Conseil Constitutionnel a censuré les principales dispositions de cette loi.

Un extrait de la décision du 22 mars 2012 du Conseil :

« Considérant, toutefois, que, compte tenu de son objet, ce traitement de données à caractère personnel est destiné à recueillir les données relatives à la quasi-totalité de la population de nationalité française ; que les données biométriques enregistrées dans ce fichier, notamment les empreintes digitales, étant par elles-mêmes susceptibles d'être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectées à son insu, sont particulièrement sensibles ; que les caractéristiques techniques de ce fichier définies par les dispositions contestées permettent son interrogation à d'autres fins que la vérification de l'identité d'une personne ; que les dispositions de la loi déférée autorisent la consultation ou l'interrogation de ce fichier non seulement aux fins de délivrance ou de renouvellement des titres d'identité et de voyage et de vérification de l'identité du possesseur d'un tel titre, mais également à d'autres fins de police administrative ou judiciaire ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que eu égard à la nature des données enregistrées, à l'ampleur de ce traitement, à ses caractéristiques techniques et aux conditions de sa consultation, les dispositions de l'article 5 portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ; que, par suite, les articles 5 et 10 de la loi doivent être déclarés contraires à la Constitution ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, du troisième alinéa de l'article 6, de l'article 7 et de la seconde phrase de l'article 8 »

Cette décision acte l'une des critique essentielles portées à cette loi par de nombreuses associations et partis démocratiques. Tout fichier informatique doit être proportionné à son objet. La loi sur la carte d'identité informatisée a pour objet l'authentification des titres d'identité. Le fait d'utiliser ce fichier pour des fins d'identification des personnes à des fins de police administrative et judiciaire est déclaré non constitutionnel. C'est un coup d'arrêt sévère à l'idéologie du « fichons tout le monde puisque tout le monde peut être coupable un jour ou l'autre ».

La carte prévue par la loi adoptée par les parlementaires de droite prévoyait également la présence d'une deuxième puce, destinée aux transactions commerciales. Le Conseil a estimé qu'une telle puce n'avait rien à faire sur un document régalien. Coup dur pour les fabricants français de tels matériels, qui comptaient bien se servir de cette carte française comme outil de marketing mondial.

La loi ainsi amputée par le Conseil a été publiée et promulguée, amputée des dispositions censurées, ce qui est normal. Le pire quant aux atteintes aux libertés a été évité.

Personnellement, je conserve tout de même une crainte quant au fait de rassembler dans un même fichier autant de données sensibles, et un regret sur l'autorisation d'utilisation massive de données biométriques. Est-il bien raisonnable de mettre un telle quantité de données à disposition d'un régime qui, comme cela s'est déjà produit dans l'histoire, pourrait devenir dictatorial, ou d'un envahisseur ayant de mauvaises intentions ? J'espère que les conditions de création et surtout d'utilisation du fichier seront strictement encadrées.

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3 Passeport

Un camouflet de moindre ampleur, mais tout de même, a été infligé à l’État le 26 octobre 2011 par le conseil d'Etat.

Alors que le décret concernant le passeport biométrique, datant de 2008, prévoit la saisie et le stockage de 8 empreintes digitales du titulaire du passeport, le Conseil d’État a décidé qu'il fallait n'en conserver que deux. (Actuellement, sur le passeport deux empreintes figurent, mais huit sont conservées dans un fichier.)

Désorganisation dans les services de l'état : les passeports délivrés restent valides, mais il fa falloir détruire les enregistrements effectués à tort. Je me pose une question : qui va vérifier que cela a été fait et comment le vérifier ?

En tout cas, en avril 2012, certaines préfectures continuent de prélever huit empreintes.

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4 Progrès scientifique et technique

Un grand débat au cours de cette semaine qui se termine le 22 avril 2012 : les sites internet publieront-ils dès 18h30 les estimations des résultats du vote « définitif », alors que certains bureaux ne ferment que à 20h.

A mon avis, ils ne devraient pas le faire. Les principes du vote républicain sont fragiles, l'un de ces principes est que tout le monde vote dans les mêmes conditions, ce n'est plus le cas si l'on connait les résultats du vote au moment où l'on vote. Argument supplémentaire, il existe un loi, que j'estime bonne, et qui l'interdit. Je suis d'ailleurs assez choqué de voir un candidat, par ailleurs président de la république et donc garant des institutions, qui déclare que si des résultats sont publiés à 18h30 cela ne le choquera pas.

Il me semble que l'idée sous-jacente à ces dérives est que toute évolution scientifique et technique est par nature un progrès. Je pense que ce n'est absolument pas le cas. Einstein développe la théorie de la relativité, mais les bombes nucléaires qui ont détruit Hiroshima et Nagasaki ne sont pas des progrès. L'industrie chimique crée de nombreux produits utiles, mais aussi les gaz de combats et les pesticides qui empoisonnent la terre et l'eau. Les manipulations génétiques permettent la création de nouvelles thérapeutiques, mais ouvrent aussi la voie à de fortes tentations eugénistes. Non, les évolutions techniques n'éclairent pas forcément le monde, si l'on ne les accompagne pas de réflexions éthiques.

L'usage de l'arbalète contre les chrétiens, considéré comme immoral, a été interdit par le concile de Latran en 1139. Rassurons-nous, cela n'a pas nui à l'industrie de l'armement : l'usage de l'arbalète restait autorisé contre les mécréants.

En d'autres termes la mode consistant à penser que, puisque internet rend quelque chose possible, il est démodé, rétrograde, ringard de ne pas le faire me semble stupide. Puisque internet permet de diffuser les résultats en avance, il faut le faire... Puisque internet permet d'accéder à la vie privée de chacun , il faut le faire. Puisque internet permet de copier des fichiers sans souci de la rémunération des auteurs, il faut le faire. Puisque internet permet aux États de surveiller toute la circulation de l'information, il faut le faire... Non.

Pour les résultats des élections, la solution est simple : décider que tous les bureaux fermeront à la même heure. Mais le débat sur les évolutions de la connaissance et les conséquences des techniques qui en découlent occupera une grande partie de notre avenir au XXIème siècle. (Plus tard aussi,mais nous n'y serons plus.)

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5 Les dangers de l'internet vus par les réactionnaires

Il me semble me rappeler que, lors de l'apparition de l'imprimerie, les clercs étaient fort mécontents de voir les textes sacrés leur échapper pour être mis à disposition de tous les fidèles.

A certaines époques on censurait les livres. Puis la presse, ce qui n'est d'ailleurs pas totalement passé de mode ! Mais actuellement le premier réflexe de tout régime soucieux de préserver son autorité est de contrôler l'internet, qui pourtant s'y prête mal.

Le Monde, avril 2012 : « Le gouvernement britannique envisage de renforcer la surveillance d'Internet. Un projet du ministère de l'intérieur, instaurant un contrôle renforcé des échanges de courriel et des consultations de sites a déclenché un tollé et divise la coalition de David Cameron. La majorité des élus de droite comme de gauche s'est mobilisée contre une réglementation qui évoque pour certains le spectre de Big Brother » Le projet permettrait aux forces de l'ordre, au régulateur de la City, aux services de la sécurité sociale d'avoir accès, sans intervention d'un juge, aux messages, courriels, sites (je pense qu'il s'agit de la consultation de sites) et appels téléphonique de chaque habitant du Royaume Uni.

Je ne vois pas de quoi se plaignent les grands bretons. Dans la grande démocratie que sont les USA, des mesures tout à fait analogues sont en place depuis le 11-septembre. Certaines bonnes âmes ont fait remarquer que cela est contraire à la constitution des USA, mais s'il fallait respecter la loi pour lutter contre ceux qui la violent, où irions-nous ;

Le Monde, avril 2012 : la Chine lance une offensive contre ses réseaux sociaux. De vives luttes pour le pouvoir ont lieu en ce moment en Chine. Le gouvernement en a profité pour restreindre l'utilisation des microblogs, fermer 16 sites internet et arrêter 1065 personnes accusées d'infraction en ligne. Bon, d'accord, la Chine n'est pas une démocratie, ce n'est pas aux USA, en France ou en Grande-Bretagne que cela se passerait ainsi.

Tout cela pour dire que, évidemment, la première annonce de Nicolas Sarkozy après les assassinats d'enfants juifs et de militaires, a été d'annoncer la punition de consultation habituelle de sites terroristes. Cette mesure est tellement inapplicable que je ne fais pas y consacrer trop de temps : qu'est-ce qu'une consultation habituelle ? Qui décide qu'un site est terroriste ? Et techniquement, comment fait-on ?

Rappelons que depuis la promulgation de la loi dite Loppsi 2 une instance administrative peut interdire tout site favorisant la pédopornographie. Louable intention. Mais le problème est que ces décisions ne sont pas publiées, elles n'ont pas à être justifiées, ni contrôlées par exemple par une commission du parlement. Une instance administrative peut sans contrôle interdire tout site qu'elle désigne comme pédopornographique. En s'attaquant d'abord à la pédopornographie, qui fait horreur à tous, le gouvernement choisit une voie approuvée par l'opinion. Suivront le contrôle des sites « terroristes », et petit à petit... Je ne dis pas qu'il faille absolument autoriser tout et n'importe quoi. Je dis simplement que, si cela doit vraiment, dans de très rares cas, se faire, il faut que cela soit dans des règles de transparence démocratique.

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6 Les dangers de l'internet en général

On connait bien ma préoccupation constante : sur l'internet on trouve (comme dans la bibliothèque de Babel de JL Borgès) tout et le contraire de tout. Comment former les citoyens à l'exercice de l'esprit critique face à ce déferlement, quels outils de pensée développer ? Il est entendu que cela ne concerne pas que l'internet, les mêmes questions se posent sur ce que l'on peut lire dans la presse, entendre à la radio et à la télévision, ou tout simplement entendre de la parts de ses voisins et amis.

Qui de nous n'a pas reçu de message alertant sur un virus signalé la veille par CNN et qui brûle l'ordinateur, diffusant une pseudo liste de produits dangereux prétendument établie par l'hôpital de Villejuif, ou un message totalement faux analysant point par point la façon dont N. Sarkozy ne paie pas d'impôts.

Qui de nous n'a pas constaté, en travaillant un sujet sur internet, que les sites se citent en boucle, se référencent les uns les autres, et qu'il et au final parfois impossible de savoir si une information a une source clairement validable.

De nombreux outils de réflexion sont à notre disposition : site de la CNIL, BD Vinz et Lou... La liste est longue, mais je serais heureux si vous me communiquez des références utiles.

On m'a par exemple récemment signalé AXA. Qu'en pensez-vous ?

Tout cela pour parler un peu du débat qui a agité la blogosphère il y a quelques jours. Un professeur de français donne à ses élèves un sujet de dissertation sur un auteur peu connu, et prend la peine, (avec une grande compétence) d'organiser sur internet des accès à de nombreuses références totalement inventées concernant cet auteur. Facile alors, en rendant la dissert, de pointer le manque de rigueur méthodologique des élèves.

Je vous avoue que cela s'est passé il y a longtemps (un mois) et que je n'ai pas pris la peine de garder tous les textes.

On a dénoncé ici où là le mépris élitiste de ce professeur. Je ne sais pas. Si son but était d'humilier les élèves en leur disant qu'ils étaient trop nuls pour utiliser internet, je ne partage pas sa méthode, ni ses conclusion.

Mais justement, c'était un exercice idéal pour donner aux élèves quelques éléments sur une méthodologie de recherche sur le net.

Reconnaissons en outre que ce professeur sans doute assez geek s'est donné un gros travail pour monter ces fausses pistes. Sans doute peut-on en trouver tout autant déjà présentes.

Il me semble que dans l'école traditionnelle le maitre apportait les connaissances et les informations. Le but de l'école était que l'élève apprenne à faire confiance au maitre.

Nous entrons maintenant dans un défi fort différent : le maitre n'a plus le monopole de l'information, mais a pour devoir de développer l'esprit critique. On sort du « croyez-moi » pour passer au « apprenez à ne pas tout prendre pour argent comptant ». C'est un bouleversement de l'école. Pas facile.

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7 Et si on enseignait vraiment le numérique

Un intéressant article sur

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/03/et-si-on-enseignait-vraiment-le-numerique_1679218_3232.html

Intéressant ne veut pas dire que je partage toutes ses conclusions.

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8 Écouter, voir

Sur le site de la CNIL : comment protéger son smartphone.

Il y a dans cette vidéo de nombreux conseils élémentaires, mais que j'ignorais pour la plupart.

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Fin de Iets N° 33