|JM B] Informatique et société N° 10 - 18 septembre 2008

Sommaire du numéro 10, 18 septembre 2008

La CNIL ou l'illusion d'un contre-pouvoir

Il y a plus grave que edvige, et personne ne s'en soucie (Alex Türk, président de la CNIL)

La merveilleuse saga de edvige

Place de l'internet dans le débat intellectuel

Internet, militantisme, liberté et pauvreté d'esprit

Internet : la majorité est-elle un critère de vérité ?

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Mister Jones, there is a plant for you ! Helzapoppin

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Sommaire du numéro 10, 18 septembre 2008

La CNIL ou l'illusion d'un contre-pouvoir

Il y a plus grave que edvige, et personne ne s'en soucie (Alex Türk, président de la CNIL)

La merveilleuse saga de edvige

Place de l'internet dans le débat intellectuel

Internet, militantisme, liberté et pauvreté d'esprit

Internet : la majorité est-elle un critère de vérité ?

Chrome

 
* La CNIL ou l'illusion d'un contre-pouvoir

C'est le titre d'un article de David Forest, avocat et docteur en sciences politiques, dans Libération du 12 septembre 2008.

Je suis perplexe sur le contenu de cet article. Certes, la CNIL a peu de pouvoirs juridiques, quoi que dise son président. Elle a peu de moyens, et ses avis sont souvent bien peu combatifs. Heureusement que, comme pour edvige, la mobilisation militante vient compenser les défaillances de la CNIL. Mais tout de même, à part la CNIL et la loi de 78, déjà largement mise à mal par le ministre de l'intérieur puis président Sarkozy, qu'avons-nous ? Le rapport de forces actuel permettrait-il d'obtenir autre chose  et mieux ? Quelle stratégie avoir à ce sujet ? Critiquer la CNIL au risque de l'affaiblir encore ? La "soutenir" en la poussant comme le fait la pétition edvige ? Militer pour un organisme vraiment indépendant, même avec peu de chances de l'obtenir avec le pouvoir actuel ?

Extraits de l'article de Forest : "depuis la loi du 6 août 2004 dont Alex Türk, président de la CNIL, était rapporteur au sénat, la création de fichiers de sécurité (Stic, FNAEG, Judex) n'est plus soumise à l'autorisation de la CNIL, tout au plus peut-elle formuler des réserves. [...] Alors que la CNIL tire son origine des menaces d'interconnexion des fichiers au moyen du numéro d'indentification de la sécurité sociale (NIR), il s'agit désormais, selon son président, de déterminer dans quelle mesure l'extension de l'utilisation du NIR peut être faite avec des garanties acceptables. [...] Le tollé provoqué par edvige témoigne ainsi des limites d'une régulation par une autorité para-étatique dans ce domaine. " Fin des extraits.

 

* Il y a plus grave que edvige, et personne ne s'en soucie (Alex Türk, président de la CNIL)

Ci-dessous, quelques extraits d'un entretien très intéressant avec A. Türk, président de la CNIL : "il y a bien plus dangereux que le fichier edvige, c'est le traçage des personnes." Texte complet sur

http://www.telerama.fr/idees/il-y-a-bien-plus-dangereux-que-le-fichier-edvige,33683.php

A. Türk a sans aucun doute raison sur le fait que Stic et tous les renseignements que l'on collecte sur les réseaux sociaux portent en eux d'énormes dangers. Cela dit, je suis toujours en désaccord avec les gens qui disent "au lieu de vous occuper de ceci, vous feriez mieux de vous occuper de cela". Ce n'est pas fromage ou dessert. Contrairement à ce que dit A. Türk, la notion de "personne susceptible de porter atteinte à l'ordre public", notion d'un arbitraire terrifiant, a été introduite dans edvige et n'existait pas formulée telle quelle dans les fichiers des RG. Je pense donc qu'il faut à la fois lutter contre edvige et contre tous les autres dangers signalés par A. Türk.

Citations de A. Türk " Si le débat d'aujourd'hui est un moyen de sensibiliser les Français en matière d'informatique et de libertés, tant mieux, mais il y a des sujets qui me préoccupent mille fois plus qu'Edvige ! [...] Moins médiatisé qu'Edvige, un autre fichier de police nous inquiète, en revanche, infiniment plus : il s'agit du Stic (Système de traitement des infractions constatées), sur lequel nous allons sortir un rapport en fin d'année.

Qu'est-ce que le fichier Stic ?
C'est un très grand fichier, dans lequel vous avez aujourd'hui plus de vingt millions d'informations répertoriées, dont plusieurs millions de noms. Cet outil, qui dépend du ministère de l'Intérieur, nous cause beaucoup d'inquiétudes ; il est bien plus puissant qu'Edvige. Il contient tous les noms des personnes qui, dans un délit, un crime ou une contravention de 5e classe [la catégorie la plus élevée dans l'échelle des contraventions, NDLR], ont été mises en cause. [...]

Quels sont les sujets qui vous préoccupent « mille fois plus qu'Edvige », comme vous dites ?
Le plus grand danger, c'est le traçage des personnes. Par le téléphone portable, par la carte bancaire, par les pass de transport. Le traçage, aussi, par la vidéosurveillance, la géolocalisation des personnes et des biens, les systèmes biométriques... Voilà, de loin, l'actualité la plus préoccupante aujourd'hui pour la Cnil. Nous sommes en train de glisser, dans le silence, et probablement dans l'inconscience, vers un mode de civilisation numérique de plus en plus dangereux. Progressivement, les Français s'habituent à être géolocalisés, filmés par les caméras de surveillance, soumis à des systèmes biométriques [identification via les empreintes digitales ou l'iris de l'œil, par exemple, NDLR].

Charles Baudelaire revendiquait deux droits fondamentaux : le droit de s'en aller et le droit de se contredire. Le droit de s'en aller, aujourd'hui, est malmené par la vidéosurveillance, la géolocalisation... et tous les traçages dans l'espace. Le droit de se contredire est bafoué par les informations et les images qui restent sur la Toile et qu'on ne peut pas faire disparaître : je dois quand même avoir le droit de dire blanc à 20 ans et de penser noir à 30 ! Il faudrait que les réseaux laissent la maîtrise de l'information aux utilisateurs. Ce n'est pas le cas aujourd'hui."

Voir suite de cet important entretien sur le site.

* La merveilleuse saga de edvige

Selon Le Parisien du 17 09 08 le fichier edvige sera scindé en trois fichiers différents, qui ne porteront aucun nom.

Waououh...Trop fort ! Cela empêchera de  faire des pétitions : comment appeler à signer  une pétition contre quelque chose qui n'a pas de nom ?

Problème : comment les fichiers pourront-ils se ficher eux-mêmes, s'ils n'ont pas de nom ?

Selon les journaux du 17 09 08, le bureau national du PS maintient son opposition absolue à edvige et sa demande de retrait du décret. Je me serais donc trompé dans mes prévisions, puisque je pensais que le PS accepterait le compromis consistant à séparer les fichiers des personnalités des fichiers des petits voyous. (Hooligans, comme dit Mme Alliot Marie, dont le vocabulaire date un peu, mais la volonté répressive est toujours vivace). Si je me suis trompé quant à la volonté de compromis du PS je m'en réjouirai, mais attendons de voir.

http://www.nonaedvige.ras.eu.org/ 184 000 signatures le 18 9 08. C'est comme à la bourse. L'indice est en dessous du seuil "symbolique" des 4000 (symbolique de quoi ?). La pétition franchira-t-elle le seuil "symbolique" des 200 000 ?

* Place de l'internet dans le débat intellectuel

Article déjà paru dans la lettre [alerte] JM Bérard du 8 septembre 2008.
 
Le site http://www.fabula.org/revue/document4195.php publie un article de Florian Louis intitulé "L'affaire Aristote : retour sur un emballement historiographico médiatique". F. Louis y relate la controverse intellectuelle et la polémique médiatique suscitées par la parution du livre de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, coll. "L’Univers Historique", 2008. (Merci à celle de vous qui m'a signalé ce site). La controverse porte sur le rôle attribué à l'Islam au Haut Moyen âge par Gouguenheim. Cf. l'article de F. Louis, lumineux et passionnant pour l'ignorant du sujet que je suis.
A l'intérieur de l'important débat sur le fond,  ce qui me passionne dans cet article est le rôle qu'ont joué la presse et l'internet pour créer, nourrir, entretenir la controverse, en des termes parfois éloignés du débat intellectuel. Cela n'a semble-t-il qu'un rapport lointain avec l'affaire Siné Val, et pourtant. Rapidité, effet d'emballement, campagnes menées par des sites manipulatoires ou hostiles, absence de droit à l'oubli sur internet, comment préserver dans tout cela la rigueur du débat ? Le débat a lieu sur la place publique, la majorité vote et dit la vérité sur Wikipédia. Tracer une limite entre la liberté d'expression et le pilori, c'est déjà  attenter à la liberté, et pourtant... Comment ne pas confondre débat argumenté et foire d'empoigne polémique ?
 
 
Extrait du texte de F. Louis, sur le fond du débat : "Pour parachever sa démonstration et ôter au monde musulman tout rôle dans la transmission à l’Occident de l’héritage culturel hellénique, S. Gouguenheim en vient finalement à disqualifier l’intermédiaire musulman en lui déniant la capacité même d’avoir joué ce rôle. A l’en croire en effet, et c’est bien là le cœur de ce qui a fait polémique, la religion musulmane serait, au contraire du christianisme, ontologiquement incompatible avec les valeurs de la culture grecque. [...] C’est précisément ce qui va vite nourrir les soupçons : était-il besoin pour établir les filiations culturelles endogènes à l’Europe d’en passer par une essentialisation outrancière du monde islamique ? Ce procédé et les longs développements du cinquième chapitre visant à légitimer le recours aux concepts de « racines » et d’ « identité » culturelles ne viseraient-ils pas plutôt des objectifs politiques très contemporains et bien moins avouables ?"
 
Encore un extrait de l'article de F. Louis, sur l'internet dans la recherche scientifique :
"La polémique illustre surtout la place croissante prise par l’internet dans la recherche historique et plus encore dans l’usage public de ses conclusions : que l’auteur l’ait ou non souhaité, le fait est que ses pages se sont trouvées publiées sur un site extrémiste, et que la blogosphère réactionnaire s’est empressée de voler à son secours dès lors que s’est déversé sur lui le flot critique de ses collègues médiévistes. Plus encore, il est à noter qu’une bonne partie de l’accusation –notamment la pétition des membres de l’ENS LSH- à son encontre repose sur plusieurs commentaires politiquement engagés postés sous son nom sur divers sites internet au cours des cinq dernières années, ce qui ne va pas sans poser la question de la frontière entre l’expression publique et l’expression privée du chercheur : peut-on conférer un même statut à un commentaire posté sur un blog ou un site de vente de livre qu’à un ouvrage publié par une grande maison d’édition parisienne ? Evidemment non. Doit-on pour autant en faire abstraction ? C’est de fait tout aussi évidemment impossible. On mesure par là en quoi l’affaire soulève des questions bien plus larges quant à la place de l’internet dans la pratique des chercheurs et dans l’utilisation plus ou moins judicieuse faite de leurs travaux par des groupes de pression et d’opinion particulièrement actifs sur la toile. Alors même que se multiplient les espaces virtuels de construction et de discussion du savoir scientifique (sites de critique, listes de diffusion, forums, wiki) offrant de nouvelles opportunités aux chercheurs dans l’élaboration de leurs travaux, apparaissent les risques que ces pratiques nouvelles engendrent, à commencer par celui de la précipitation, aggravé par la non maîtrise des données une fois celles-ci divulguées : alors que l’internet est surtout utilisé par les chercheurs comme un lieu d’échange et de construction de savoir, donc comme une étape par nature provisoire, le fait est que des traces en demeurent qui peuvent tel un boomerang revenir parasiter le résultat final au gré des usages qui en sont faits par des personnes plus ou moins bien intentionnées." Fin de citation.
 
* Internet, militantisme, liberté, pauvreté d'esprit ?
Article déjà paru dans la lettre [Alerte] JM Bérard du 8 septembre 2008
 
Dans le prolongement des réflexions ci-dessus, deux articles attirent mon attention sur le rôle de l'internet dans le débat intellectuel, et sa place dans le système militant.
 
Sur son "site officiel" http://www.manularcenet.com/blog/?p=856 Manu Larcenet  publie un article intitulé "Web 2.0". L'auteur est à juste titre très sensible au respect de ses droits. Je ne publie donc que de courts extraits, vous renvoyant pour la lecture complète au site lui-même.
" Jusqu’à hier matin, je ne savais pas que la déferlante de ce que j’appelle poliment « l’étalage obscène et sentencieux des opinions amateurs » portait un nom… Vous savez, cette mode qui consiste à faire intervenir l’internaute à tout bout de champs et pour n’importe quoi… Eh bien ça s’appelle « le Web 2.0 ». Ca a un nom. Me voilà rassuré.
Je le dis tout net, le Web 2.0 est une escroquerie. Franchement, qui a lancé cette mode burlesque qui dit que chacun se doit d’avoir un avis sur tout et qu’en sus, il est nécessaire de l’exprimer publiquement sous couvert de citoyenneté et d’anonymat ?
En quelques années qui resteront une tache sombres dans l’histoire pourtant déjà chargée de l’humanité, l’étalage de sa propre pauvreté d’esprit est devenu le comble de la modernité…
Quelle drôle idée de quémander l’avis du quidam sur les ramifications ethno-philosophiques des conflits orientaux modernes ou sur la physique ondulatoire appliquée à la matière fissile ? Soyons sérieux deux secondes. Si l’on persuade le passant que son opinion sur des sujets qu’il ne maîtrise pas est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie et à son intérêt supérieur, c’est que c’est la fin…
« Monde de merde », comme disait le Prophète*.
« L’ère du tout puissant commentaire » est à nos portes, camarades ! Les incompétents se ruent à l’assaut des places fortes de la culture, de l’information, des sciences, de la politique, de la philosophie, de l’Art, même ! Et ils vont gagner, bien sûr, parce qu’ils sont les plus nombreux !
Camarades, on veut nous faire gober que la fin des « spécialistes » entrainera l’avènement des petites gens, que nos avis compteront enfin et que c’en sera fini des élites! Mensonges! Illusions que tout ça, bordel ! Hubert Reeves sera toujours plus pertinent en matière d’astrophysique que moi.
Si si. Tiens, puisqu’on en parle, il arrivera le moment où le même Hubert Reeves sera renvoyé dans les cordes par Monsieur Zobi123 d’un cinglant «  LOL ! C pa paske G pas de 10plomes que je doigt me taire ! C sa, la liberT d’espretion, sale sarkoziste ». Et la foule applaudira son hérault parce qu’il aura réduit le savant à rien, c’est à dire à la portée de chacun."
 
Pour ma part, j'approuve entièrement, en particulier le passage sur les spécialistes. Sauf que l'on tombe toujours sur le même paradoxe logique : qui décide que ce qu'écrivent Manu Larcenet ou JM Bérard n'est pas pauvre d'esprit ? Faut-il créer une police de la pensée pour limiter l'expression des cons et des pauvres d'esprit ? Qui en fera partie ?
 
Dans un autre registre, l'un de vous me transmet un article de Thierry Leclère : "Contre edvige, c'est le web qui a lancé la mobilisation". Autrement dit : il n'y a pas que des conneries sur le web 2.0.
 
Internet : la majorité est-elle un critère de vérité ?

JM Bigard (l' "humoriste" populiste et grossier qui avait accompagné Sarkozy en visite "spirituelle" chez le pape) a développé à la radio la thèse du complot sur les attentats du 11 septembre : tout cela est manipulé, les images sont truquées, les attentats n'ont pas eu lieu ou alors ils ne sont pas ce qu'on nous dit.

A ce propos divers journaux ressortent une citation de Mme Boutin (ministre de la République), du 7 septembre 2007 : "Je pense qu'il est possible que Bush soit à l'origine des attentats du 11 septembre. Je le pense d'autant plus que les sites qui parlent de ce problème ont un fort taux de visite. Cette expression de masse ne peut être sans vérité". Elle est ministre...

J'en reste ébahi, mais au fond elle a raison. En démocratie il faut tenir compte des convictions de la majorité. De nombreuses jeunes filles ont été enlevées dans les magasins de vêtements de Orléans, le Soleil tourne autour de la Terre et N. Sarkozy défend les droits de l'homme grâce à edvige.

 * Chrome : c'est le nouveau navigateur lancé par Google.

La bonne nouvelle est que en Allemagne des mises en garde sont lancées sur le manque de sécurité de Chrome quant-à la préservation des données personnelles. C'est entièrement justifié. Cet émoi est cependant un peu étonnant, car Chrome est loin d'être le seul à ne pas préserver la confidentialité des données personnelles. Si je faisais partie du lobby Microsoft, je lancerais des attaques contre mon concurrent Chrome pour atteinte à la confidentialité. La poutre et la poutre.
 
En France, le secrétariat général de la défense nationale gère un site d'information grand public sur les risques informatiques.
Portail de la sécurité informatique http://www.securite-informatique.gouv.fr/
Le 11/9/2008 ce site met en garde sur les risques que présentent non seulement Chrome mais aussi la deuxième version beta de Microsoft internet explorer 8, et de la version beta de Opera 9.6. De façon générale, le SGDN conseille d'être prudent dans l'usage des versions beta. Non, non, n'insistez pas, je n'ajouterai pas que ce sont des militaires et qu'ils s'y connaissent en version beta en confondant les balles à blanc et les balles réelles.