[JM B] informatique et société N° 12 - 18 janvier 2009

Sommaire du numéro

Fichage institutionnel (big brother) !!!!!
Surveillance de chacun par chacun (la pieuvre)
Base élève : une victoire ?
L'internet et le numérique orientent-ils notre façon de penser et de créer  ?
        Accès à l"information
        Conservation de la mémoire
        Evanescence du texte
        Modifications des méthodes de création et de pensée


J'édite deux lettres : "[alerte]" et "[JM B] informatique et société". Ceci est la lettre "[JM B] informatique et société" N° 12.
La dernière lettre [alerte] parue porte le N° 32.
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 Lettre  JM Bérard "Informatique et société", N° 12, rythme de parution  aléatoire
18 janvier 2009
 jean-michel.berard chez orange.fr remplacer chez par @

 
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Sommaire du numéro

Ce numéro est un appel à vous tous, qui, chacun, d'une façon ou d'une autre, travaillez et réfléchissez aux questions relatives à la place du numérique dans les évolutions de la société. De nombreuses situations, ponctuelles ou plus générales, m'ont conduit à me demander de plus en plus fortement si l'internet et les usages que nous en faisons orientent notre pensée et notre façon de créer, et dans quelle mesure. Certains d'entre vous sont très impliqués dans ce type de réflexion, et je souhaiterais que vos contributions permettent de faire un peu le point sur l'état des idées en la matière.

Mais auparavant, vous pourrez lire un texte concernant Base élève, qui va probablement susciter le désaccord de beaucoup d'entre vous, et un petit (!) rappel sur le fichage institutionnel (big brother) et la surveillance de chacun par chacun (la pieuvre).

 

Fichage institutionnel (big brother) !!!!!
Surveillance de chacun par chacun (la pieuvre)
Base élève : une victoire ?
L'internet et le numérique orientent-ils notre façon de penser et de créer  ?
        Accès à l"information
        Conservation de la mémoire
        Evanescence du texte
        Modifications des méthodes de création et de pensée
 

 

Fichage institutionnel (big brother) !!!!!
 
Je reçois de la La ligue des droits de l'homme un document important, de neuf pages, recensant les fichiers institutionnels actuellement en œuvre dans notre pays.
Le document cite :
les fichiers de police et de gendarmerie, 45 fichiers, et nombreux fichiers en cours de développement,
les fichiers de la vie quotidienne  : identité, transports et déplacements, étrangers, impôts, éducation, santé,
les fichiers marchands : banques, paiements, transport aérien,
les fichiers d'entreprise.
 
On a beau être un peu familier de la question, le rassemblement de tout cela sur neuf pages coupe le souffle.
On y trouve en particulier des fichiers rassemblant des personnes sur lesquelles pèse "une présomption de commettre des délits" !
Document important, inquiétant, trop long pour figurer dans cette lettre. Demandez-le moi, je vous l'enverrai. Vraiment, faites-le.
 
Pour mémoire : un texte paru dans le N° 11 de la présente lettre :
Le journal "Les inrockuptibles" du 28 octobre 2008 publie un article où sont données des adresses de nombreux sites qui permettent de prendre connaissance des méthodes de fichage et de surveillance, qui nous concernent tous : http://www.cnil.fr/ , http://www.odebi.org/new2/accueil.html, http://www.iris.sgdg.org/, vigiorange.hauetfort.com (lien non valide ? ), http://www.spyworld-actu.com/, http://1984.over-blog.com/, http://www.antibiometrie.com/, http://www.ines.sgdg.org/, http://souriez.info/, http://nonabigbrother.free.fr/, http://www.smallbrothers.org/, http://www.vie-privee.org/, http://www.bugbrother.com/, http://bigbrotherawards.eu.org/ .
Le lien vigie orange signalé par les inrocks est un site de vigilance mis en place par le parti de F. Bayrou. J'ai cherché et n'ai pas trouvé de site qui corresponde à la description des inrocks. J'ai vérifié la validité des autres liens. La revue les Inrocks est responsable des choix.
 

Surveillance de chacun par chacun, la pieuvre

Les risques de la surveillance de chacun par chacun sont souvent évoqués, et apparaissent aussi dangereux que les risques de la surveillance centrale. L'un des derniers exemples en date :

Source : Le Monde, dimanche 18 lundi 19 janvier 2009. "Internet : confusion entre sphère publique et sphère privée, un internaute piégé par ses traces sur la toile."

Synthèse de l'article : Le mensuel "Le Tigre" a décidé de publier des "portraits Google", en recherchant et en éditant dans sa revue les traces laissées par chacun sur les sites et les réseaux sociaux, Facebook; Flickr, Youtube, etc. . Un jeune salarié d'un cabinet d'architecte a eu la surprise de lire dans Tigre tout ce que l'on peut, facilement et légalement, trouver sur lui en cherchant sur la toile : date d'anniversaire, voyages effectués, rencontres amoureuses, numéro de portable...

L'article sur le site du Tigre est intéressant :  http://www.le-tigre.net/Marc-L.html

La commission nationale de l'informatique et des libertés pense qu'il serait difficile de porter plainte, puisque tous les renseignements étaient publics et en ligne. D. Pécaud, sociologue, estime que les nouvelles technologies facilitent la confusion des espaces publics et privés.

A cette occasion, la CNIL rappelle un exemple déjà fort connu : un candidat s'est vu refuser l'emploi qu'il sollicitait car l'employeur avait trouvé en ligne une photo de ses fesses prise des années avant lors d'une soirée arrosée.

Pour l'instant, il est difficile, presque impossible d'obtenir l'effacement de ses données personnelles sur internet.

Base élève : une victoire ?

Très bref historique pour savoir d'où l'on part : depuis longtemps, le ministère de l'éducation nationale mettait au point un système de fichage des enfants d'âge scolaire, appelé base élève. Très vite, des militants associatifs ont protesté contre le fait que, sous couvert de gestion des élèves et du système éducatif, le fichier allait contenir de nombreux renseignements susceptibles de porter atteinte à la vie privée ou à l'avenir des élèves : nationalité, renseignements excessifs sur les difficultés scolaires, données conservées pendant un temps excédant la durée de la scolarité, etc. La mobilisation a pris corps. Le Ministère, un peu autiste, n'a pas mesuré cette mobilisation et a fini par reculer en rase campagne, en supprimant, à mon avis, la quasi-totalité de ce que contenait base élève.

Beaucoup d'associations sont heureuses de ce résultats. Certaines pensent qu'il y a encore trop de données dans base élève et qu'il faut renoncer à ce fichier.

Je ne partage pas ce point de vue.

Il me semble que nous avons un système d'éducation nationale et qu'il est bon que nous disposions des indicateurs nécessaires pour le piloter. Nous, c'est l'administration, les élus, mais aussi l'ensemble des citoyens. Il me semble que X. Darcos et la droite en général ne tiennent pas du tout à un système d'éducation nationale, et que c'est l'une des raisons pour laquelle, devant la mobilisation justifiée des associations, ils ont préféré faire machine arrière toute et enlever de base élève y compris ce qui était nécessaire.
 
Un exemple : base élève ne comportera plus la profession des parents. Une pétition de chercheurs, que j'ai signée, se demande dans ce cas comment Bourdieu et Passeron, Baudelot et Establet pourraient faire leurs études sociologiques sur le caractère sélectif du système éducatif en fonction de l'origine sociale.
 
Constatons par ailleurs que le ministère à longuement différé la parution des brochures papier "Etat de l'école" contenant les données statistiques d'analyse du système éducatif. Sans doute n'est-il pas bon que les citoyens sachent comment le système dysfonctionne
 
Les associations n'ont pas l'air de voir que au fond la suppression de tous ces renseignements de base élève prive le citoyen de tout moyen critique d'analyse du fonctionnement du système. 
 
Je continue de maintenir fortement que, si l'on avait étudié proprement le système d'anonymisation par l'identifiant, on aurait pu ne faire remonter que des informations anonymes mais nécessaires au pilotage du système.
 
Je ne crois pas que la lutte contre les abus des fichiers nominatifs doive être une lutte de principe contre les fichiers. C'est une lutte contre les abus.
Je ne crois pas non plus que priver les citoyens d'information sur le fonctionnement du système soit un progrès de la démocratie.
 
L'internet et le numérique orientent-ils notre façon de penser et de créer ?
 
Titre d'une ambition démesurée : cela fait l'objet de réflexions nombreuses, et fera l'objet de réflexions dans les cent ans à venir...
Mon intention ici est de lancer quelques questions qui me préoccupent pour que vous puissiez répondre : cela, est réglé depuis un moment déjà, ceci est en cours de réflexion, cela est un danger encore mal perçu... L'idée dans ce N° 12 n'est pas de traiter le fond, il y faudrait des volumes entiers et des centaines de colloques, mais d'exprimer quelques préoccupations, en m'appuyant sur des exemples concrets. Au fur et à mesure, dans les prochaines lettres, je reviendrai sur chacune des questions, en fonction de vos apports au débat.
 
            Accès à l"information
 
Le filtre anti spam de ma propre messagerie a classé comme spam le numéro "Hors série créationnisme" de ma propre lettre [alerte]. Il en a été de même pour plusieurs destinataires de la lettre. Ma messagerie a aussi classé comme spams deux numéros de la revue en ligne "Le café pédagogique" et un message de SOS racisme intitulé "30 000 expulsions par an, c'est la honte". Certes, je peux vérifier les messages filtrés et les conserver. Certes, en utilisant un filtre, j'accepte  que les messages soient filtrés. Mais là où je m'inquiète, c'est que je ne peux pas connaitre les critères : pourquoi ces messages-ci sont-ils filtrés ? Sur quelle combinaison de mots le filtre a-t-il classé comme indésirables des messages à contenu plutôt politique ? Efficacité du filtre, filtrage insidieux, censure sans doute involontaire pour l'instant ?
 
Il se dit par ailleurs que "ce qui n'est pas sur la première page des résultats d'une recherche google n'existe pas." Mais on sait aussi que les critères de classement relèvent du secret industriel le plus farouchement gardé. Comment savoir quelle méthode a conduit tel site en tête de ma recherche ?
 
De plus en plus fort, itrmanager nous informe le 7 janvier 2009 que "la Chine veut nettoyer le Web des contenus vulgaires qui nuisent à la santé
physique et mentale des jeunes." Pour l'instant, Google n'a pas donné suite et a même protesté auprès des autorités chinoises. Comme le dit l'article de itrmanager, l'histoire ne dit pas si le fait d'emprisonner des dissidents ou d'enfreindre les droits de l'homme quasi quotidiennement est plus ou moins « vulgaire » que les contenus que l'on trouve sur le Web. J'ajoute (JM B) que le gouvernement chinois classe sans doute comme vulgaires les contenus "dissidents", et a déjà commencé à les filtrer, avec, je crois bien, l'accord de Google. 
 
Excès d'information ? Filtrage ? Censure ? Comment, en tout cas, assurer sur la Toile une réelle transparence qui permette à chaque usager de choisir volontairement ce qu'il reçoit ou non, sans qu'on le fasse pour lui de façon opaque ?
 
            Conservation de la mémoire 
 
Les divers supports sur lesquels sont enregistrées les informations numériques ne sont pas pérennes, et l'on ne sait d'ailleurs pas vraiment combien de temps se conserve une information sur cd, dvd ou disque dur. Préoccupant, car une partie des données produites par l'humanité n'existent désormais que sous forme numérique. (Petit exemple simpliste, les particuliers font peu de tirages papier de leurs photos, et les stockent sur leur disque dur. Comment pourra-t-on dans cent ans retrouver les souvenirs de nos arrière grands-parents en remuant les vieilles photos ?) On conseille aux particuliers de réenregistrer périodiquement leurs données. Certes, s'ils y pensent, et tant qu'ils sont vivants.
 
Question encore plus grave pour toute l'intelligence de l'humanité : comment conserver numériquement les bibliothèques, les archives, les créations artistiques, dont certaines n'existent que sous forme numérique ? Des sociétés privées, des institutions publiques ont mis en place des programmes de conservation par réenregistrement sous un format normalisé. Qu'en sera-t-il en cas de conflits militaires ?  de séismes ? de crise financière privant les institutions des moyens de faire les sauvegardes ? Où retrouvera-t-on les manuscrits de la mer morte ? A supposer que l'on ait pu les conserver, saura-t-on dans mille ans lire tous ces bits accumulés ? Hypothèse optimiste : la question ne se posera pas, puisque, sous l'effet de ses propres actions, l'espèce humaine aura disparu... Problème : comment les espèces qui auront pris le relais (je ne sais pas, moi, les fourmis, les abeilles) accèderont-elles à cette histoire ? Hypothèse pessimiste : cela n'aura pour elles aucune importance...
 
            Evanescence du document
 
Pour les historiens, et le grand public, c'est devenu un cas d'école : au fur et à mesure des purges staliniennes, les photos des membres du bureau politique trônant à la tribune du Kremlin étaient modifiées rétroactivement pour en gommer les devenus "traitres et  renégats".
 
Les outils de stockage de l'information se diversifient, de la clé USB au papier électronique et au e-book. On pourra ainsi partir sur l'ile déserte avec dans le petit appareil les quarante livres dont on a besoin pour travailler, et, grâce aux connections désormais partout présentes, du McDo aux jardins publics, s'abonner aux journaux et les recevoir en temps réel.
 
Les milieux français de l'édition travaillent à ces questions, une commission a édité une brochure papier "Accueillir le numérique".
 
Il me semble qu'un problème est largement sous estimé : celui des risques de modification rétrospective des informations que nous transporterons dans notre poche ou notre cartable. On serait ainsi face à une version moderne, rapide, invisible des techniques artisanales employées par Staline pour les photos du BP du PCUS. Le risque est d'autant plus grand que l'une des tendances actuelles est de concevoir des outils personnels sans mémoire propre : toutes les données seront stockées à distance et accessibles en ligne, et donc modifiables au gré du gestionnaire du site.
 
Deux exemples :
 
Le premier exemple est  réel et actuel  : un très grand employeur met à disposition de ses nouveaux salariés une clé USB  contenant tout un ensemble d'informations leur permettant de travailler plus efficacement. Le contenu est régulièrement mis à jour par l'employeur, ce qui est une bonne chose. Mais les salariés ne sont pas mis au courant des mises à jour effectuées. La clé qu'ils détiennent évolue donc, subrepticement, et l'employeur est maitre de l'Histoire. Il n'a même pas à assumer ses choix, ceux-ci disparaissent, seul le présent fait foi...
 
Deuxième exemple : avec les supports modernes, (papier électronique, e-book) on peut acheter en ligne des livres, s'abonner à des journaux. Comment s'assurer que la version achetée et téléchargée ne va pas être "mise à jour" rétrospectivement ? Les éditeurs français s'en préoccupent, quel est leur poids face au commerce international ? Quant-aux éditeurs de journaux, la tentation sera grande pour eux de modifier rétrospectivement des textes qui les mettraient dans une situation juridique délicate, ou les placeraient sous la pression du pouvoir politique. On aura donc dans sa poche un document qui évolue en permanence, et sans en être nécessairement informé. Pis encore, on n'aura plus d'information stockée dans l'appareil, tout ne sera disponible qu'à distance, et donc modifiables au gré du gestionnaire du site.
 
Je ne crois pas que cela ne relève que du fantasme. J'ai dans la lettre alerte donné un exemple précis, où le ministère de l'éducation nationale a modifié rétrospectivement et subrepticement un Bulletin Officiel déjà en ligne. Pour un exemple que je connais, combien de situations subreptices ?
 
Le texte, le document deviendront-ils évanescents, sans cesse variables ? Comment assurer une publication des dates de mise en ligne, des contenus des modifications ? Que deviendra l'Histoire ?
 
                Modifications des méthodes de création et de pensée
 
J'ignore, vraiment, si des études de psychologie cognitive ou autres sont produites ou en cours à ce sujet.
 
Dès les débuts de l'usage du traitement de texte, certains estimaient qu'un auteur n'écrit plus de la même façon lorsqu'il passe de la plume à l'ordinateur. Ces hypothèses ont-elles été confirmées ? Au fil des siècles, l'interaction entre ce que l'on écrit et la façon dont on écrit est évidente. Qu'en est-il actuellement ?
 
Qu'en est-il des modes de perception sur l'écran, sur le papier électronique, ou avec un livre papier ?
 
En quoi le fait de disposer en permanence de sources d'information, fiables ou non (Google, Wikipedia) modifie-t-il le travail du chercheur ?
 
Et puis... Dans le dernier numéro de "La Recherche", un chercheur en mathématiques expliquait que l'ordinateur est capable désormais d'effectuer des démonstrations formelles de théorèmes. Il estime même que toute démonstration faite par l'être humain est sans doute faisable par un ordinateur, et que l'ordinateur peut faire des démonstrations formelles que l'être humain n'est pas pour l'instant capable de faire. Il estime aussi que ces ouvertures nouvelles vont permettre à l'homme de se poser des questions dont il n'aurait pas pensé qu'elles puissent se poser.
 
Dans les romans de science fiction des années 60 la crainte était que l'ordinateur ne se mette à penser mieux que l'homme, et à sa place. Fantasme, sans doute. Mais il demeure que, à ma connaissance, (j'aimerais des démentis de votre part) les sciences cognitives travaillent peu sur les conséquences des usages de l'ordinateur quant-aux méthodes de pensée de l'homme.
 
 
Fin de la lettre iets N° 12