J'édite deux lettres
: "[alerte]" et "[JM B] informatique et société". Ceci est la lettre "[JM B]
informatique et société" N° 12.
La dernière lettre
[alerte] parue porte le N° 32.
*********************
Lettre JM Bérard "Informatique et
société", N° 12, rythme de parution aléatoire
18 janvier
2009
jean-michel.berard chez orange.fr remplacer chez par @
Vous faites
partie d'une liste limitée de destinataires. Désabonnement sur simple demande.
Diffusion libre. Réactions bienvenues.
La
sélection, la rédaction des synthèses et les commentaires n'engagent
strictement que moi. Vos
réactions, en particulier en cas d'inexactitude, sont
bienvenues.
*********************
Sommaire du
numéro
Ce numéro est un appel
à vous tous, qui, chacun, d'une façon ou d'une autre, travaillez et
réfléchissez aux questions relatives à la place du numérique dans les évolutions
de la société. De nombreuses situations, ponctuelles ou plus générales, m'ont
conduit à me demander de plus en plus fortement si l'internet et les usages que nous en faisons orientent notre
pensée et notre façon de créer, et dans quelle mesure. Certains
d'entre vous sont très impliqués dans ce type de réflexion, et je souhaiterais
que vos contributions permettent de faire un peu le point sur l'état des idées
en la matière.
Mais auparavant, vous
pourrez lire un texte concernant Base élève, qui va probablement susciter le
désaccord de beaucoup d'entre vous, et un petit (!) rappel sur le
fichage institutionnel (big brother) et la surveillance de chacun par
chacun (la pieuvre).
Fichage institutionnel (big brother)
!!!!!
Surveillance de chacun par chacun (la
pieuvre)
Base élève : une victoire
?
L'internet et le numérique orientent-ils notre
façon de penser et de créer ?
Accès à
l"information
Conservation de la
mémoire
Evanescence du texte
Modifications des méthodes de création et
de pensée
Fichage institutionnel (big brother)
!!!!!
Je reçois de la La ligue des droits de l'homme un
document important, de neuf pages, recensant les fichiers institutionnels
actuellement en œuvre dans notre pays.
Le document cite :
les fichiers de police et de gendarmerie, 45 fichiers,
et nombreux fichiers en cours de développement,
les fichiers de la vie quotidienne : identité,
transports et déplacements, étrangers, impôts, éducation, santé,
les fichiers marchands : banques, paiements, transport
aérien,
les fichiers d'entreprise.
On a beau être un peu familier de la question, le
rassemblement de tout cela sur neuf pages coupe le souffle.
On y trouve en particulier des fichiers rassemblant des
personnes sur lesquelles pèse "une présomption de commettre des délits"
!
Document important, inquiétant, trop long pour figurer
dans cette lettre. Demandez-le moi, je vous l'enverrai. Vraiment,
faites-le.
Pour mémoire : un texte paru dans le N° 11 de
la présente lettre :
Le journal
"Les inrockuptibles" du 28 octobre 2008 publie un article où sont données des
adresses de nombreux sites qui permettent de prendre connaissance des
méthodes de fichage et de surveillance, qui nous concernent
tous :
http://www.cnil.fr/ ,
http://www.odebi.org/new2/accueil.html,
http://www.iris.sgdg.org/,
vigiorange.hauetfort.com (lien non valide ? ),
http://www.spyworld-actu.com/,
http://1984.over-blog.com/,
http://www.antibiometrie.com/,
http://www.ines.sgdg.org/,
http://souriez.info/,
http://nonabigbrother.free.fr/,
http://www.smallbrothers.org/,
http://www.vie-privee.org/,
http://www.bugbrother.com/,
http://bigbrotherawards.eu.org/ .
Le lien vigie orange
signalé par les inrocks est un site de vigilance mis en place par le parti de F.
Bayrou. J'ai cherché et n'ai pas trouvé de site qui corresponde à la description
des inrocks. J'ai vérifié la validité des autres liens. La revue les Inrocks est
responsable des choix.
Surveillance de chacun
par chacun, la pieuvre
Les risques de la
surveillance de chacun par chacun sont souvent évoqués, et apparaissent aussi
dangereux que les risques de la surveillance centrale. L'un des derniers
exemples en date :
Source : Le
Monde, dimanche 18 lundi 19 janvier 2009. "Internet : confusion entre
sphère publique et sphère privée, un internaute piégé par ses traces sur la
toile."
Synthèse de l'article
: Le mensuel "Le Tigre" a décidé de publier des "portraits Google", en
recherchant et en éditant dans sa revue les traces laissées par chacun sur les
sites et les réseaux sociaux, Facebook; Flickr, Youtube, etc. . Un jeune salarié
d'un cabinet d'architecte a eu la surprise de lire dans Tigre tout ce
que l'on peut, facilement et légalement, trouver sur lui en cherchant sur la
toile : date d'anniversaire, voyages effectués, rencontres amoureuses, numéro de
portable...
L'article sur le site
du Tigre est intéressant : http://www.le-tigre.net/Marc-L.html
La commission
nationale de l'informatique et des libertés pense qu'il serait difficile de
porter plainte, puisque tous les renseignements étaient publics et en ligne. D.
Pécaud, sociologue, estime que les nouvelles technologies facilitent la
confusion des espaces publics et privés.
A cette occasion, la
CNIL rappelle un exemple déjà fort connu : un candidat s'est vu refuser l'emploi
qu'il sollicitait car l'employeur avait trouvé en ligne une photo de ses fesses
prise des années avant lors d'une soirée arrosée.
Pour l'instant, il est
difficile, presque impossible d'obtenir l'effacement de ses données personnelles
sur internet.
Base élève : une
victoire ?
Très bref historique
pour savoir d'où l'on part : depuis longtemps, le ministère de l'éducation
nationale mettait au point un système de fichage des enfants d'âge scolaire,
appelé base élève. Très vite, des militants associatifs ont protesté contre le
fait que, sous couvert de gestion des élèves et du système éducatif, le fichier
allait contenir de nombreux renseignements susceptibles de porter atteinte à la
vie privée ou à l'avenir des élèves : nationalité, renseignements excessifs sur
les difficultés scolaires, données conservées pendant un temps excédant la durée
de la scolarité, etc. La mobilisation a pris corps. Le Ministère, un peu
autiste, n'a pas mesuré cette mobilisation et a fini par reculer en rase
campagne, en supprimant, à mon avis, la quasi-totalité de ce que contenait base
élève.
Beaucoup
d'associations sont heureuses de ce résultats. Certaines pensent qu'il y a
encore trop de données dans base élève et qu'il faut renoncer à ce
fichier.
Je ne partage pas ce
point de vue.
Il me semble que nous avons un
système d'éducation nationale et qu'il est bon que nous disposions des
indicateurs nécessaires pour le piloter. Nous, c'est l'administration, les élus,
mais aussi l'ensemble des citoyens. Il me semble que X. Darcos et la droite en
général ne tiennent pas du tout à un système d'éducation nationale, et que c'est
l'une des raisons pour laquelle, devant la mobilisation justifiée des
associations, ils ont préféré faire machine arrière toute et enlever de base
élève y compris ce qui était nécessaire.
Un exemple : base élève ne
comportera plus la profession des parents. Une pétition de chercheurs, que j'ai
signée, se demande dans ce cas comment Bourdieu et Passeron, Baudelot et
Establet pourraient faire leurs études sociologiques sur le caractère sélectif
du système éducatif en fonction de l'origine sociale.
Constatons par ailleurs que le
ministère à longuement différé la parution des brochures papier "Etat de
l'école" contenant les données statistiques d'analyse du système éducatif. Sans
doute n'est-il pas bon que les citoyens sachent comment le système
dysfonctionne
Les associations n'ont pas l'air
de voir que au fond la suppression de tous ces renseignements de base
élève prive le citoyen de tout moyen critique d'analyse du fonctionnement du
système.
Je continue de maintenir fortement
que, si l'on avait étudié proprement le système d'anonymisation par
l'identifiant, on aurait pu ne faire remonter que des informations anonymes mais
nécessaires au pilotage du système.
Je ne crois pas que la lutte
contre les abus des fichiers nominatifs doive être une lutte de principe contre
les fichiers. C'est une lutte contre les abus.
Je ne crois pas non plus que
priver les citoyens d'information sur le fonctionnement du système soit un
progrès de la démocratie.
L'internet et le numérique
orientent-ils notre façon de penser et de créer ?
Titre d'une ambition démesurée :
cela fait l'objet de réflexions nombreuses, et fera l'objet de réflexions dans
les cent ans à venir...
Mon intention ici est de lancer
quelques questions qui me préoccupent pour que vous puissiez répondre : cela,
est réglé depuis un moment déjà, ceci est en cours de réflexion, cela est un
danger encore mal perçu... L'idée dans ce N° 12 n'est pas de traiter le fond, il
y faudrait des volumes entiers et des centaines de colloques, mais d'exprimer
quelques préoccupations, en m'appuyant sur des exemples concrets. Au fur et à
mesure, dans les prochaines lettres, je reviendrai sur chacune des questions, en
fonction de vos apports au débat.
Accès à
l"information
Le filtre anti spam de ma propre
messagerie a classé comme spam le numéro "Hors série créationnisme" de ma propre
lettre [alerte]. Il en a été de même pour plusieurs destinataires de la lettre.
Ma messagerie a aussi classé comme spams deux numéros de la revue en ligne "Le
café pédagogique" et un message de SOS racisme intitulé "30 000 expulsions par
an, c'est la honte". Certes, je peux vérifier les messages filtrés et les
conserver. Certes, en utilisant un filtre, j'accepte que les messages soient
filtrés. Mais là où je m'inquiète, c'est que je ne peux pas connaitre les
critères : pourquoi ces messages-ci sont-ils filtrés ? Sur quelle combinaison de
mots le filtre a-t-il classé comme indésirables des messages à contenu plutôt
politique ? Efficacité du filtre, filtrage insidieux, censure sans doute
involontaire pour l'instant ?
Il se dit par ailleurs que "ce qui
n'est pas sur la première page des résultats d'une recherche google n'existe
pas." Mais on sait aussi que les critères de classement relèvent du secret
industriel le plus farouchement gardé. Comment savoir quelle méthode a conduit
tel site en tête de ma recherche ?
De plus en plus fort, itrmanager
nous informe le 7 janvier 2009 que "la Chine veut nettoyer le Web des contenus
vulgaires qui nuisent à la santé
physique et mentale des jeunes."
Pour l'instant, Google n'a pas donné suite et a même protesté auprès des
autorités chinoises. Comme le dit l'article de itrmanager, l'histoire ne dit pas
si le fait d'emprisonner des dissidents ou d'enfreindre les droits de l'homme
quasi quotidiennement est plus ou moins « vulgaire » que les contenus
que l'on trouve sur le Web. J'ajoute (JM B) que le gouvernement chinois
classe sans doute comme vulgaires les contenus "dissidents", et a déjà commencé
à les filtrer, avec, je crois bien, l'accord de Google.
Excès d'information ? Filtrage ?
Censure ? Comment, en tout cas, assurer sur la Toile une réelle transparence qui
permette à chaque usager de choisir volontairement ce qu'il reçoit ou non, sans
qu'on le fasse pour lui de façon opaque ?
Conservation de la
mémoire
Les divers supports sur lesquels
sont enregistrées les informations numériques ne sont pas pérennes, et l'on ne
sait d'ailleurs pas vraiment combien de temps se conserve une information sur
cd, dvd ou disque dur. Préoccupant, car une partie des données produites par
l'humanité n'existent désormais que sous forme numérique. (Petit exemple
simpliste, les particuliers font peu de tirages papier de leurs photos, et les
stockent sur leur disque dur. Comment pourra-t-on dans cent ans retrouver les
souvenirs de nos arrière grands-parents en remuant les vieilles photos ?) On
conseille aux particuliers de réenregistrer périodiquement leurs données.
Certes, s'ils y pensent, et tant qu'ils sont vivants.
Question encore plus grave pour
toute l'intelligence de l'humanité : comment conserver numériquement les
bibliothèques, les archives, les créations artistiques, dont certaines
n'existent que sous forme numérique ? Des sociétés privées, des institutions
publiques ont mis en place des programmes de conservation par réenregistrement
sous un format normalisé. Qu'en sera-t-il en cas de conflits militaires ? de
séismes ? de crise financière privant les institutions des moyens de faire les
sauvegardes ? Où retrouvera-t-on les manuscrits de la mer morte ? A supposer que
l'on ait pu les conserver, saura-t-on dans mille ans lire tous ces bits
accumulés ? Hypothèse optimiste : la question ne se posera pas, puisque, sous
l'effet de ses propres actions, l'espèce humaine aura disparu... Problème :
comment les espèces qui auront pris le relais (je ne sais pas, moi, les fourmis,
les abeilles) accèderont-elles à cette histoire ? Hypothèse pessimiste : cela
n'aura pour elles aucune importance...
Evanescence du
document
Pour les historiens, et le grand
public, c'est devenu un cas d'école : au fur et à mesure des purges
staliniennes, les photos des membres du bureau politique trônant à la tribune du
Kremlin étaient modifiées rétroactivement pour en gommer les devenus "traitres
et renégats".
Les outils de stockage de
l'information se diversifient, de la clé USB au papier électronique et au
e-book. On pourra ainsi partir sur l'ile déserte avec dans le petit appareil les
quarante livres dont on a besoin pour travailler, et, grâce aux connections
désormais partout présentes, du McDo aux jardins publics, s'abonner aux journaux
et les recevoir en temps réel.
Les milieux français de l'édition
travaillent à ces questions, une commission a édité une brochure papier
"Accueillir le numérique".
Il me semble qu'un problème est
largement sous estimé : celui des risques de modification rétrospective des
informations que nous transporterons dans notre poche ou notre cartable. On
serait ainsi face à une version moderne, rapide, invisible des techniques
artisanales employées par Staline pour les photos du BP du PCUS. Le risque est
d'autant plus grand que l'une des tendances actuelles est de concevoir des
outils personnels sans mémoire propre : toutes les données seront stockées à
distance et accessibles en ligne, et donc modifiables au gré du gestionnaire du
site.
Deux exemples :
Le premier exemple est réel et
actuel : un très grand employeur met à disposition de ses nouveaux salariés une
clé USB contenant tout un ensemble d'informations leur permettant de travailler
plus efficacement. Le contenu est régulièrement mis à jour par l'employeur, ce
qui est une bonne chose. Mais les salariés ne sont pas mis au courant des mises
à jour effectuées. La clé qu'ils détiennent évolue donc, subrepticement, et
l'employeur est maitre de l'Histoire. Il n'a même pas à assumer ses choix,
ceux-ci disparaissent, seul le présent fait foi...
Deuxième exemple : avec les
supports modernes, (papier électronique, e-book) on peut acheter en ligne des
livres, s'abonner à des journaux. Comment s'assurer que la version achetée et
téléchargée ne va pas être "mise à jour" rétrospectivement ? Les éditeurs
français s'en préoccupent, quel est leur poids face au commerce international ?
Quant-aux éditeurs de journaux, la tentation sera grande pour eux de modifier
rétrospectivement des textes qui les mettraient dans une situation juridique
délicate, ou les placeraient sous la pression du pouvoir politique. On aura donc
dans sa poche un document qui évolue en permanence, et sans en être
nécessairement informé. Pis encore, on n'aura plus d'information stockée dans
l'appareil, tout ne sera disponible qu'à distance, et donc modifiables au gré du
gestionnaire du site.
Je ne crois pas que cela ne relève
que du fantasme. J'ai dans la lettre alerte donné un exemple précis, où le
ministère de l'éducation nationale a modifié rétrospectivement et subrepticement
un Bulletin Officiel déjà en ligne. Pour un exemple que je connais, combien de
situations subreptices ?
Le texte, le document
deviendront-ils évanescents, sans cesse variables ? Comment assurer une
publication des dates de mise en ligne, des contenus des modifications ? Que
deviendra l'Histoire ?
Modifications des méthodes de création et de pensée
J'ignore, vraiment, si des études
de psychologie cognitive ou autres sont produites ou en cours à ce
sujet.
Dès les débuts de l'usage du
traitement de texte, certains estimaient qu'un auteur n'écrit plus de la même
façon lorsqu'il passe de la plume à l'ordinateur. Ces hypothèses ont-elles été
confirmées ? Au fil des siècles, l'interaction entre ce que l'on écrit et la
façon dont on écrit est évidente. Qu'en est-il actuellement ?
Qu'en est-il des modes de
perception sur l'écran, sur le papier électronique, ou avec un livre papier
?
En quoi le fait de disposer en
permanence de sources d'information, fiables ou non (Google, Wikipedia)
modifie-t-il le travail du chercheur ?
Et puis... Dans le dernier numéro
de "La Recherche", un chercheur en mathématiques expliquait que l'ordinateur est
capable désormais d'effectuer des démonstrations formelles de théorèmes. Il
estime même que toute démonstration faite par l'être humain est sans doute
faisable par un ordinateur, et que l'ordinateur peut faire des démonstrations
formelles que l'être humain n'est pas pour l'instant capable de faire. Il estime
aussi que ces ouvertures nouvelles vont permettre à l'homme de se poser des
questions dont il n'aurait pas pensé qu'elles puissent se poser.
Dans les romans de science fiction
des années 60 la crainte était que l'ordinateur ne se mette à penser mieux que
l'homme, et à sa place. Fantasme, sans doute. Mais il demeure que, à ma
connaissance, (j'aimerais des démentis de votre part) les sciences cognitives
travaillent peu sur les conséquences des usages de l'ordinateur quant-aux
méthodes de pensée de l'homme.
Fin de la lettre iets N°
12