|JM B] Informatique et société N° 8 - 4 septembre 2008

Sommaire du numéro

Alerte Edvige

Edvige encore : réflexion de fond

Fait divers : vers un fichage ADN généralisé ?

Suède et réticences

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 Lettre  JM Bérard "Informatique et société", N° 8, rythme de parution  aléatoire
4 septembre 2008
jean-michel.berard chez orange.fr remplacer chez par @
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Sommaire du numéro

Alerte Edvige

Edvige encore : réflexion de fond

Fait divers : vers un fichage ADN généralisé ?

Suède et réticences

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Alerte edvige
 
Les lecteurs de cette lettre sont, compte tenu de leurs centres d'intérêt, déjà largement informés par de nombreuses sources de la mise en place de edvige et des graves atteintes aux liberté qu'il présente. Plusieurs actions s'organisent, dont vos sites et associations favoris vous tiennent informés.
La pétition "Non à edvige" lancée par plusieurs associations a recueilli, le 3 septembre 2008,  98299 signatures, dont 705 signatures d'organisations, partis et syndicats.
Peut-être la période estivale a-t-elle fait que vous réfléchissez à l'opportunité de signer ?
Le site est http://nonaedvige.ras.eu.org/, à vous de voir, mais ne tardez pas.
 
La nouveauté le cette rentrée est que la mobilisation, très large mais jusque là limitée aux groupes militants, gagne maintenant la classe politique. De plus, la presse (du moins celle que je lis) est de plus en plus attentive à ces questions de fichage généralisé.
 
Extraits de l'éditorial du journal "Le Monde", 3 septembre 2008,
" Le décret créant edvige a été publié le 27 juin 2008. C'est un fichier de police destiné à collecter des informations sur toute personne physique ou morale ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif, mais aussi sur toute personne à partir de l'âge de 13 ans susceptible de porter atteinte à l'ordre public.
[J'ai beau être au courant, à chaque fois que je tape ou que je lis cela, je suis effaré... JM B]
Suite des extraits de l'éditorial : Tous les partis de gauche mais aussi le modem de F. Bayrou dénoncent désormais cette politique gouvernementale de fichage généralisé qui pourrait rapidement concerner plusieurs millions de français. [...] La défense de l'ordre public ne saurait justifier pareille menace sur les libertés individuelles. [...] La mobilisation contre edvige est d'autant plus justifiée que ce nouveau système d'information sur les Français [??? Pas seulement. JM B] n'est que le dernier en date. Depuis quelques années les fichiers de police se sont multipliés, sans parler de la vidéo surveillance. Passer ainsi d'une société dans laquelle chacun est présumé innocent à une autre dans laquelle c'est la culpabilité de tous quie st présumée constitue une dérive dangereuse pour l'état de droit. " Fin des extraits de l'éditorial
 
Dans le même numéro du même journal, un article signé Anne Chemin a pour titre "La colère associative monte contre edvige, le fichier policier de données personnelles" et un article signé JM Normand s'intitule "Les leaders de l'opposition se sont saisis de la controverse".
 
Rappelons que la commission nationale de l'informatique et des libertés (dont le président est pourtant sénateurs UMP) a émis de vives réserves sur edvige. Le gouvernement n'est pas tenu de suivre son avis.
 
Communiqué du collectif "Non à edvige" : Après la réunion du Collectif le 28 août, il a été décidé d'organiser une conférence de presse publique le 9 septembre prochain à 11 heures à la Bourse du travail salle Croizat. Y sera développé le point de vue des associations de défense des droits humains et des libertés, des associations LGBT, des organisations de défense des droits des mineurs, des associations de défense des malades, des organisations syndicales et des citoyens mobilisés contre un tel projet.
Les différentes actions envisagées contre ce fichier liberticide seront dévoilées à cette occasion
.
 
Edvige encore : réflexion de fond
 
Le blog claris est rédigé en particulier par des juristes et présente des analyses sur tout un ensemble de sujets de société.
Le 16 juillet 2008, Claris pointe vers le site de la fondation Copernic, avec un important article de Evelyne Sire-Marin, magistrat, à propos de edvige.
 
Je ne sais si j'en ai tout à fait le droit, mais je reproduis ici l'intégralité de l'article.
 

"Un blessé grave sur le trottoir, victime en outre d’insultes antisémites. Rachida Dati avait immédiatement annoncé qu’elle allait créer un fichier des "bandes". Et elle en profite pour l’étendre aux bandes ...de militants politiques ou syndicaux.

Comme d’habitude, on se saisit d’un fait divers malheureusement banal pour donner à la police des pouvoirs disproportionnés : des dizaines d’affaires identiques sont jugées à Paris chaque année, des jeunes de 14 à 20 ans s’affrontant à coup de démonte- pneus et de gazeuses, au motif qu’ils n’habitent pas la même cité, alors qu’ils vivent le même désarroi social et les mêmes discriminations raciales. Le phénomène n’est pas nouveau, il existait déjà dans les années 1960, avec les "blousons noirs". Mais depuis 2002, l’UMP s’est employée à répondre en termes exclusivement sécuritaires à ces violences qui expriment avant tout une déliaison collective, une décomposition du tissu social liée au chômage de masse des jeunes des cités.

Chaque fait divers a été l’occasion pour Nicolas Sarkozy de faire voter un nouveau texte répressif, dont l’objectif est toujours le même. Stigmatiser comme délinquante une partie de la population considérée comme inintégrable, inemployable, et dangereuse : les jeunes des banlieues, les SDF, les prostituées, les malades mentaux, les étrangers sans papiers..., et maintenant les citoyens engagés, les ficher, et les punir.

Comme d’habitude, on claironne une nouvelle mesure répressive, alors que la police et la justice sont déjà parfaitement armées, et même bien trop, sur le plan du fichage. Ainsi 16 lois sécuritaires ont été votées depuis 2002 (3), afin de donner toujours plus de pouvoirs à la police pour contrôler les identités, placer en garde à vue (4), effectuer des perquisitions, poser des écoutes téléphoniques et des caméras de vidéo-surveillance.

De très nombreux fichiers policiers ont été créés, dont le STIC (5), qui contient 7,5 millions de fiches de "mis en cause", conservées pendant 20ans, et le FNAEG (6), qui n’est absolument pas un fichier spécialisé pour les délinquants sexuels, puisqu’y figurent pendant 25 ans les personnes interpellées pour vols, recel, dégradations et violences volontaires, outrages et rébellion.. C’est ce fichier FNAEG qui vaut à des nombreux militants le recueil de leurs empreintes ADN, sous peine d’être condamnés à un an d’emprisonnement.

Le point commun de tous ces fichiers de police est de contenir des fiches de mineurs et de personnes simplement soupçonnées par la police, dont beaucoup n’ont jamais été condamnées. Ainsi, s’agissant des bandes, il existait déjà, avant l’annonce de la création d’un fichier spécial, la possibilité de retrouver les mineurs ou les majeurs membres de groupes violents avec le STIC, le FNAEG....et le fichier "CANONGE", fichier policier légalisé par la loi 12 décembre 2005. Il permet à tout service de police judiciaire de classer par caractéristiques les personnes interpellées dans les années précédentes ; sur un simple clic d’ordinateur, la police peut retrouver une personne déjà connue, correspondant à un critère précis. Par exemple, si une victime a remarqué que son agresseur portait des lunettes, ou la barbe, ou avait une tâche sur le visage, ou telle couleur de peau, la police fait défiler sur l’écran des dizaines de photographies comportant ce signe particulier, avec une légende concernant les antécédents de la personne, Evidemment , le critère d’appartenance à une "bande"peut être lui aussi être entré dans le fichier Canonge, comme tous les autres critères, et sélectionné en cas de bagarres pour rechercher les auteurs. Si tant est, d’ailleurs, que ce critère ait un sens, alors qu’un adolescent peut très bien fréquenter des copains de son quartier sans pour autant être dans une bande organisée !

C’est ce que n’avaient pas vraiment compris les "Renseignements Généraux"(7) , qui avaient tiré de fumeuses explications "ethniques"des émeutes des banlieues en 2005, dans un rapport qui leur valu une plainte de SOS racisme.

C’est ainsi des principes tels que la présomption d’innocence, le droit à la protection de ses données personnelles, le droit à la sûreté (8) sont déjà fortement mis à mal par l’existence d’ innombrables fichiers de police (9), au nom de la "sécurité".

Pourquoi donc créer ce nouveau fichier EDVIGE, si ce n’est pour permettre à la Garde des Sceaux, Rachida Dati, de réoccuper l’espace médiatique qu’elle a perdu, en faisant d’une pierre deux coups : le fichage des mineurs des cités et celui des militants ? L’utilisation politique de la sécurité et de l’idéologie victimaire est un ressort constant de ce gouvernement, dès qu’il s’agit de masquer le tragique échec des promesses présidentielles en matière de chômage et de pouvoir d’achat.

Le populisme pénal permet depuis 6 ans à l’UMP de remplacer l’antagonisme dominants/dominés, par le clivage coupables/ victimes. Même les grèves donnent lieu à cette analyse, les usagers étant les otages-victimes et les grévistes étant les coupables. Chacun est ainsi renvoyé à sa faute et à sa responsabilité individuelle, qu’il s‘agisse de problèmes de délinquance, de santé publique, d’éducation, d’immigration ou d’emploi.

Le véritable objet des lois sécuritaires est bien là : Il ne s’agit pas de lutter réellement contre la délinquance. Les chiffres calamiteux de la hausse des violences contre les personnes attestent d’ailleurs de l’inefficacité totale de la politique de tolérance zéro du gouvernement (10).

Le bénéfice idéologique recherché de cette idéologie sécuritaire est bien de masquer les réelles inégalités économiques et sociales de ce pays, la police étant utilisée comme le bras armé de la substitution de l’état pénal à l’état social.

Notes :

(1) "Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale" .

(2) CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés

(3) Voici la liste des 16 lois sécuritaires votées depuis 2002, auxquelles il faut ajouter deux autres textes pénaux de caractère technique sur les juges de proximité et l’équilibre de la procédure pénale : Loi programmation de la justice du 3 août 2002/ Loi Perben 1 du 9 septembre 2002/ loi Sarkozy du 18 mars 2003 sur la "sécurité intérieure"/ Loi sur l’immigration du 26 novembre 2003/ Loi sur l’asile 10 décembre 2003/ loi Perben 2, "criminalité organisée" du 9 mars 2004/ Loi 26 janvier 2005 sur les juges proximité/ Loi 18 novembre 2005 sur la déclaration de l’état d’urgence/ Loi 12 décembre 2005 sur la récidive/ Loi 23 janvier 2006 contre le terrorisme / Loi 31 mars 2006 ," égalité des chances"/ Loi immigration 26 juillet 2006 " immigration choisie"/ Loi prévention délinquance 15 mars 2007 / Loi récidive 10 août 2007/ Loi Hortefeux 20 novembre 07 sur les étrangers (tests ADN )/ Loi rétention de sûreté du 25 février 2008.

(4) Le nombre de gardes à vue a doublé depuis 2000 : 562 000 personnes ont été gardées à vue en 2007. Ce sont surtout les étrangers en situation irrégulière qui sont concernés par cette augmentation exponentielle des gardes à vue (ils représentent le quart des gardes à vue) et les usagers de stupéfiants , cannabis et crack surtout(43 000 en 2007 !)

(5) STIC : système de traitement des infractions constatées ; il est consulté 30 000 fois par jour (Le Monde 2007)

(6) FNAEG : fichier National automatisé des empreintes génétiques, créé par la loi Vaillant du 15 nov. 2001, dite "sécurité quotidienne", et étendu par la loi sécurité intérieure du 18 mars 2003. Il contient déjà 500 000 ADN.

(7) Les renseignements généraux ont fusionné avec la DST, au sein de la nouvelle DCRI (Direction Centrale du renseignement Intérieur), depuis le 1er juillet 2008 . On peut d’ailleurs se demander si le fichier Edvige n’est pas créé afin de donner un puissant outil de surveillance à ce nouveau service concentrant deux polices politiques jusqu’ici concurrentes.

(8) La Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 n’a jamais proclamé le droit à la sécurité, mais le droit à la sûreté, c’est à dire le droit de ne pas subir l’arbitraire de l’état, ce qui est bien différent.

(9) 33 Fichiers de police et de gendarmerie ont été recensés en 2006 par Alain BAUER, président de Observatoire national de la délinquance(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/064000885/index.shtml.

(10) Les violences contre les personnes ont augmentées de 14,1% depuis 2005 (sur la Seine St Denis la délinquance a augmenté de 7,6 % depuis janvier 2006), chiffres de l’observatoire national de la délinquance." Fin de l'article de E. Sire-Marin

 
Fait divers : vers un fichage ADN généralisé ?
 
Assassinat du petit Valentin. On relève sur les lieux des traces d'ADN, mais le fichier central de l'ADN ne contient pas cet ADN là. Etonnant : ce fichier, qui  devait au départ ne concerner que des délinquants condamnés pour crimes sexuels est, subrepticement, devenu si large que l'on ne sait plus où il s'arrête. En tout cas, dans une première étape, on n'a pas retrouvé l'assassin présumé, car son ADN n'était pas présent dans le fichier central. C'est l'enquête de police qui a finalement permis d'arrêter des suspects.
Première réaction, naïve : cela montre bien que le fichage préventif ne peut répondre à tout.
Deuxième réaction : on pourrait étendre un peu le fichage ADN, par exemple aux personnes qui circulent en tenant un chat en laisse et sont donc susceptibles de troubler l'ordre public.
Réaction de RMC info, radio populiste s'il en est : "sondage" auprès des auditeurs : "faut-il étendre à tous, dès la naissance, le fichage ADN ?" Dans l'émotion du drame, en l'absence de tout autre élément d'information donné par RMC sur les dangers du fichage, devinez la réponse ? Voici un argument bien utile pour un futur amendement Mariani.
 
Suède et réticences
 
Extraits d'un article du journal Le Monde, été 2008, signé Olivier Truc.
"Une loi votée par le parlement suédois donne le droit au service d'écoute de la défense de fouiller dans les télécommunications par câble pour rendre compte des menaces extérieures contre le pays. Les craintes d'atteintes aux libertés individuelles ont provoqué de vives protestation, jusque dans les rangs de certains partis gouvernementaux qui se veulent les garants du libéralisme. [On a aussi en France des partis gouvernementaux garants du libéralisme, mais pas dans le même sens du mot ! JM B]
La question est maintenant de savoir si le gouvernement va être capable de sortir de ce qui est devenu un bourbier politique."  Fin des extraits.
 
En France, la ministre de l'intérieur prépare, en secret, une loi encore plus liberticide, qui, en particulier, donnera de larges pouvoirs à la police, sous le léger contrôle d'un juge, pour espionner les ordinateurs personnels. Après quelques article inquiets dans la presse, black out. La Suède s'émeut, la cour constitutionnelle allemande a refusé un texte du même type, mais en France, cahin-caha, les lumières du Siècle s'éteignent.
 
La série des trois romans "Millenium" dénonce avec succès certaines failles de la démocratie dans une société suédoise apparemment consensuelle. Il demeure que, dans le troisième tome comme dans les précédents, les "bons" (Lisbeth Salander, Blomkvist, la police démocratique) utilisent sans aucune limite le piratage des données personnelles. C'est pour la bonne cause ! Et ce n'est qu'un roman. Mais bon, il vaut mieux que ce soit dans ce sens. Tolérer des atteintes aux libertés dans un roman, mais protester dans la rue et au parlement contre une loi liberticide.